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j’ai déclaré très net à Pourtalès que nous ne laisserons pas la Serbie seule en tête-à-tête avec l’Autriche dans le règlement de leur querelle. Notre entretien s’est terminé sur un ton très vif.

— Ah ! Très vif ?

— Oui… Savez-vous ce qu’il a osé me dire ? Il m’a reproché, à moi et à tous les Russes, de ne pas aimer l’Autriche, de ne pas avoir scrupule à troubler les dernières années de son vénérable Empereur. J’ai riposté : « Non, certes, nous n’aimons pas l’Autriche… Et pourquoi donc l’aimerions-nous ? Elle ne nous a jamais fait que du mal. Quant à son vénérable Empereur, s’il a encore sa couronne sur la tête, c’est à nous qu’il le doit. Rappelez-vous comme il nous a témoigné sa reconnaissance, en 1855, en 1878, en 1908. Nous reprocher de ne pas aimer l’Autriche, non, vraiment, c’est trop fort ! »

— Tout cela est mauvais, mon cher ministre. Si la conversation entre Pétersbourg et Berlin doit continuer de la sorte, elle ne se poursuivra pas longtemps. Avant peu, nous verrons l’empereur Guillaume se dresser dans son armure étincelante. De grâce, soyez calme ; épuisez tous les moyens d’accommodement ! N’oubliez pas que mon gouvernement est un gouvernement d’opinion publique et qu’il ne pourra vous soutenir efficacement que s’il a l’opinion pour lui. enfin, pensez à l’opinion anglaise.

— Je ferai tout le possible pour éviter la guerre. Mais comme vous, je suis très inquiet de la tournure que prennent les choses.

— Puis-je certifier à mon gouvernement que vous n’avez ordonné encore aucune mesure militaire ?

— Aucune, je vous l’affirme. Nous avons seulement décidé de faire rentrer en secret les quatre-vingts millions de roubles, que nous avons en dépôt dans les banques allemandes.

Il ajoute qu’il va s’efforcer d’obtenir du comte Berchtold une prolongation du délai imparti à la Serbie par l’ultimatum, afin que les Puissances aient le temps de se former une opinion sur le dossier judiciaire du conflit et de chercher une voie de conciliation.

Les ministres russes se réuniront demain, sous la présidence de l’Empereur. Je recommande à Sazonow une prudence extrême dans les avis qu’il émettra.