Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 61.djvu/25

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bontés et qui ne veulent pas se soumettre aux conditions bien modestes pourtant qu’ils leur doivent imposer. — Autrefois, les habitants de Cologne ne travaillaient pour ainsi dire pas. Le gros de leur besogne était fait par les lutins. Un jour les lutins cousaient le vêtement du maire ; la femme du tailleur, curieuse, voulut voir comment ils s’y prenaient : les lutins l’aperçurent et fort courroucés désertèrent la ville. Depuis ce temps, les gens de Cologne doivent travailler. — A Ohlenberg, village voisin de Linz sur le Rhin, les lutins prêtaient aux paysans leurs chaudrons, pour faire leur cidre, à condition d’en recevoir quelques brocs. Les paysans cherchèrent à les tromper et leur donnèrent du cidre falsifié. Le lendemain, le passeur d’Erpel entendit, la nuit, par-dessus le fleuve, une voix qui le réveilla et lui commanda d’amener sa barque. Il obéit, et, en arrivant à la rive, ne vit personne. Cependant sa barque se remplissait, car il entendait des piétinements et elle s’enfonçait. Une voix lui commanda d’aborder en pleine campagne. Les invisibles passagers en débarquant remplirent sa casquette d’or. C’étaient les lutins d’Ohlenberg qui se retiraient dans l’Eifel.

C’est un fait que les pauvres lutins du Rhin, malheureux d’imagination, attristés par les manques d’égards, effarouchés des hommes et de la vie qui redevenait barbare, se sont réfugiés pour finir dans la montagne de l’Eifel auprès des charbonniers et des mineurs, plus hospitaliers que les gens des villes. Ces lutins ne seraient-ils pas les dieux lares et les pénates de l’époque romaine, chassés par les croyances nouvelles et obligés de s’enfuir dans la montagne ? Ils s’y font extrêmement bien voir. Les lutins du château de Blankenheim sauvent la fille du chevalier Richard, qu’un brigand déguisé en pèlerin voulait enlever. Ils s’offrent aux valets de l’abbaye de Maria Laach pour monter la garde à leur place autour des vignes, à condition de recevoir un panier plein de raisins. Mais à leur gentillesse se joint toujours la même timidité. Ils sont secrets. Extrêmement curieux, désireux de tout voir, ils craignent d’être vus. Les lutins du petit village de Speicker veulent regarder une noce par la fenêtre. Ils sont découverts. L’un d’eux, en se sauvant, perd sa pantoufle d’or.

A la famille de ces gentils lutins mosellans appartiennent les esprits que l’on rencontre dans les montagnes du Palatinat, où ils vivent familièrement avec les ouvriers des mines de