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l’antinomie morale, l’équivoque tacite, qui sont au fond de l’alliance franco-russe, ne me sont apparues si fortement.

A trois heures, le Président reçoit les délégués des colonies françaises de Saint-Pétersbourg et de toute la Russie. Il en est venu de Moscou, de Kharkow, d’Odessa, de Kiew, de Rostow, de Tiflis. En les présentant à Poincaré, je peux lui dire avec une entière sincérité :

— Leur empressement à venir vous saluer n’a rien qui m’étonne ; car je vois chaque jour avec quelle ferveur et quelle piété les colonies françaises de Russie pratiquent le culte de la patrie absente. Dans aucune province de notre vieille France, monsieur le Président, vous ne trouverez de meilleurs Français que ceux qui sont ici devant vous.


A quatre heures, le cortège se reforme pour conduire le Président au Palais d’hiver, où doit se tenir un cercle diplomatique.

Sur tout le parcours, l’accueil est enthousiaste. La police en a ordonné ainsi. A chaque coin de rue, un groupe de pauvres diables pousse des hourrah, sous l’œil d’un agent.

Au Palais d’hiver, c’est l’apparat des grands jours.

L’étiquette veut que les ambassadeurs soient introduits isolément auprès du Président, qui a Viviani à sa gauche. Et c’est moi qui lui présente mes collègues étrangers.

Le premier qui entre est l’ambassadeur d’Allemagne, le comte de Pourtalès, doyen du corps diplomatique. J’ai prévenu Poincaré que mon prédécesseur, Delcassé, s’était montré à peine poli envers cet homme très courtois, et je l’ai prié de lui faire bon accueil. Le Président le reçoit donc avec une affabilité marquée, Il l’interroge sur les origines françaises de sa famille, sur la parenté de sa femme avec les Castellane, sur un voyage en auto que le comte et la comtesse projettent de faire à travers la Provence et précisément à Castellane, etc… Pas un mot de politique.

Je présente ensuite mon collègue du Japon, le baron Motono, que Poincaré a connu jadis à Paris. L’entretien est court, mais non sans portée. En quelques phrases, le principe de l’accession du Japon à la Triple-Entente est formulé et virtuellement consenti.

Après Motono, j’introduis mon collègue d’Angleterre, Sir George Buchanan. Poincaré lui donne l’assurance que