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des plus graves que nous ayons traversées. Les socialistes révolutionnaires et les radicaux unifiés se conduisent comme des fous : ils sont en train de perdre la France… J’avoue cependant que votre pessimisme m’étonne un peu. Êtes-vous donc si convaincu que nous soyons à la veille de la guerre ?

— J’ai l’intime conviction que nous allons vers l’orage. Sur quel point de l’horizon et à quelle date éclatera-t-il ? Je ne saurais le dire. Mais la guerre est désormais fatale et à brève échéance. J’aurai fait au moins tout ce qui dépend de moi pour ouvrir les yeux du Gouvernement français.

— Vous m’impressionnez beaucoup. Adieu. Je cours chez Viviani.

— Un dernier mot, lui dis-je. Il est entendu que ma démarche auprès de vous demeure secrète.

— Cela va de soi.

Deux heures plus tard, le journal Paris-Midi annonçait, sous une rubrique sensationnelle, que j’avais menacé M. Viviani de ma démission, si la déclaration ministérielle ne maintenait pas intégralement la loi militaire. Peu après, on apprenait que M. Viviani avait renoncé à constituer un Cabinet. Dans les couloirs de la Chambre, où l’émotion était vive, il expliqua sommairement qu’il n’avait pu faire accepter par ses futurs collaborateurs la formule qu’il estimait indispensable au sujet du service triennal. Comme on lui demandait s’il ne consentirait pas à tenter un nouvel effort pour résoudre la crise, il répondit avec un geste de colère et de dégoût :

— Non, certes ! J’en ai assez, de lutter contre des républicains qui me crachent au visage, quand je leur parle de la situation extérieure.

Le lendemain, je fus injurié, comme il convenait, par toute la presse d’extrême-gauche. Au Palais-Bourbon, les socialistes révolutionnaires et les radicaux unifiés réclamaient ma révocation.

Mais, après quelques jours d’agitation et de désarroi parlementaires, une saine réaction se produisit dans l’opinion publique. Appelé de nouveau à constituer un cabinet, M. Viviani réussit à grouper autour de lui des collaborateurs qui acceptassent de maintenir le service triennal.

Le 18 juin, M. Viviani, installé depuis la veille au quai