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Chronique n° 2129
31 décembre 1920
CHRONIQUE DE LA QUINZAINE [1]

Ne nous payons pas de mots et ne nous faisons pas d’illusions. Depuis quinze jours, les ténèbres n’ont pas cessé de s’épaissir autour de nous :


Mi ritrovai per una selva oscura
Che la diritta via era smarrita.


C’est, d’abord, dans l’examen des questions financières, que les Chambres ont éprouvé l’angoisse de se sentir égarées au milieu de « questa selva selvaggia. » Les deux commissions des finances, placées en présence du budget de 1921, ont reculé d’effroi. Que leur proposait le gouvernement ? Vingt-deux milliards trois cent vingt-sept millions de dépenses dites ordinaires ; cinq milliards quatre cent quatre-vingt-dix-huit millions sept cent mille francs de dépenses dites extraordinaires, c’est-à-dire un total de dépenses de près de vingt-huit milliards pour l’année prochaine ; et dans cette somme formidable, ne figurait aucune des dépenses recouvrables sur l’Allemagne, c’est-à-dire qu’il n’y était compris ni les pensions militaires, ni les frais à payer, en 1921, pour la remise en état des régions dévastées, ni les secours et allocations des aux victimes de la guerre. Tous ces crédits, les plus nécessaires de tous et les plus sacrés, avaient été diminués, par rapport à cette année, de quatre milliards deux cent douze millions ; ils étaient cependant encore portés, dans un budget spécial, pour le chiffre de seize milliards cinq cent trente-neuf millions, et ils n’avaient d’autre gage que l’espérance des recouvrements promis par le traité de Versailles. En face de ces charges épouvantables, quelles étaient les ressources indiquées ? Dix-neuf milliards sept cent trente-cinq millions de recettes normales. Pas un centime de plus. En cherchant de toutes parts, on avait cru pouvoir ajouter sur le papier, comme ressources exceptionnelles, un milliard deux cent millions

  1. Copyright by Raymond Poincaré, 1921.