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collection de curiosités et de disparates. Je ne sais lequel de ses amis, — je crois que c’est l’historien John Addington Symonds, — la compare, dans une lettre, à Marie Bashkirtseff : ce fut en effet par excellence l’époque du dilettantisme, dont la jeunesse de Margot, comme celle de la célèbre artiste russe contemporaine, montre l’aimable désordre et la brillante incohérence. Mais la jeune Écossaise, à travers ses détours et ses indécisions, ne perd pas de vue son idée : elle voulait un rôle. Son entrée dans le monde, l’élection de son père, l’avènement de Gladstone et du régime des libéraux, tout cela se produit à peu près en même temps, quand elle a seize ou dix-sept ans. En province, la politique est une affaire sérieuse. Miss Tennant avait pris part de tout son cœur au triomphe de son père, en épinglant de petits drapeaux aux couleurs « libérales » aux pans des redingotes tories. Elle jure de n’épouser qu’un membre du Cabinet, et se sent destinée à vivre dans les hautes sphères du gouvernement.

Elle le déclare ingénument : « Je ne connais que trois femmes, — ma fille Elisabeth (la princesse Antoine Bibesco), ma belle-fille Violette, et moi-même, qui soyons réellement des têtes politiques… » Le fait est que, toute jeune fille (elle ne s’est mariée qu’à trente ans) elle avait des opinions sur le Home Rule et sur les questions militaires ; elle fait la leçon aux simples hommes d’affaires qui se croient hommes d’État. Dans ces conversations de ruelles, qu’elle présidait de son lit « en élégante camisole, » on parlait moins de galanterie que des intérêts de l’Empire. Cette chambre de jeune fille était un salon politique. J’ai dit que Margot n’était pas jolie : elle était pire. Il faut croire qu’il y avait dans ce petit corps un démon singulier, pour que tant d’hommes distingués aient subi son génie. Après avoir, comme on l’a vu, fait jouer aux petits jeux des philosophes célèbres, des secrétaires d’Etat, comme M. Balfour, Lord Curzon ou M. John Morley, elle pouvait les suivre sur le terrain de la spéculation et mettre l’entretien sur les débats du Parlement. On avouera que peu de jeunes filles ont eu un tel pouvoir. Il rendait Margot Tennant à la fois attachante et un peu redoutable. « C’est vrai que vous épousez Margot ? — Jamais de la vie ! Je tiens à faire ma carrière moi-même. » C’est elle qui rapporte ce trait de M. Balfour : je ne le lui fais pas dire. Le plaisant est qu’on se rappelle que le livre est dédié à M. Asquith…

J’ignore quel fut exactement son rôle dans une société qui eut son heure de célébrité, et dont elle fut, comme jeune fille, une des