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grimpait dans les tourelles et faisait de l’acrobatie, en chemise de nuit, sur les toits du château. Elle montait à cheval, fumait des cigarettes, et partageait son déjeuner, au milieu de ses courses, avec tous les chemineaux et les braconniers du pays. En somme une vie d’enfant terrible plus encore que d’enfant gâtée, vie spontanée, très naturelle, où la jeune fille acquit un fond d’indépendance : une enfance de « bon petit diable » ou d’héroïne de Gyp, rappelant un peu ce que nous savons de celle d’une George Sand, — et il n’y a pas là de quoi se voiler la face. De cette première enfance espiègle et « casse-cou, » la jeune fille conserva comme une empreinte indélébile et une liberté d’allures qui devaient détonner un peu dans la société de Londres. Elle y continua, comme sur les landes de son pays, ses prouesses d’amazone. Ne lui prenait-il pas fantaisie d’entrer à cheval un beau matin dans le vestibule de l’hôtel ?

Ces excentricités ne sont pas celles dont notre héroïne se montre le moins fière. « Je me suis rompu les deux clavicules, cassé le nez, enfoncé les côtes, démoli la rotule, disloqué la mâchoire, fracturé le crâne et cinq fois donné une commotion au cerveau. » Elle ne tire pas moins de gloire de son talent pour la danse et pour la comédie : elle aurait pu gagner sa vie sur le théâtre. La fameuse Kate Vaughan le lui assura un jour en la voyant danser, et ce témoignage la console de certaines lacunes de son éducation.

On conçoit qu’avec de l’esprit et une telle variété de perfections diverses, les amoureux ne lui manquaient pas. Les filles aînées étaient mariées depuis longtemps, mais Margot avait une sœur à peu près de son âge : c’était la règle de la maison que tous les jeunes gens tombaient épris à première vue. Les jeunes filles n’étaient pas en reste. Elles étaient si pareilles de taille et de tournure, qu’il fallait coudre leurs initiales à la doublure de leurs habits, pour leur permettre de les reconnaître ; dans ces conditions, on ne s’étonnera pas si les prétendants eux-mêmes ne savaient pas toujours pour laquelle des deux sœurs ils poussaient des soupirs. Il en résultait quelquefois entre Margot et Laura des scènes assez plaisantes. Les parents laissaient faire et assistaient à tout avec placidité. L’usage en Angleterre n’étant point de doter les filles, on leur permet sur ce chapitre une liberté qui nous étonne : on ne leur défend ni certains manèges, ni certaines expériences ; à elles de tirer leur épingle du jeu et de se débrouiller comme elles peuvent. Le système a du bon. Je ne donne pourtant pas ce qui va suivre pour une image exacte de ce qui se passe en Angleterre. Les choses auraient pu