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et que toute résolution qu’ils prendraient alors pour rendre possible et régulière la continuation de leur vie commune est d’avance approuvée par moi. Là… ce que j’avais tant à cœur de te dire est dit tant bien que mal !… » Quand, après la mort de Charles, Claire a cette lettre, et ce passage de cette lettre, à lire, elle en est bouleversée. Puis elle songe : « Il y a des couples criminels comme Alain et moi que ce coup affranchirait. Nous, c’est notre châtiment ; et il nous rend insupportable même la vue l’un de l’autre. » Alain n’est pas d’un autre avis. Les deux coupables considèrent que la mort de Charles doit les séparer pour toujours.

Mais l’abbé leur dit : « En relisant tout à l’heure, à la sacristie, la lettre de Charles, j’y ai admiré une absolue compréhension de ces temps nouveaux… » Ce sont les terribles temps dont il parlait, temps de la nuit, où l’on bute et l’on défaut plus dangereusement ; la nuit finira ; mais, en attendant que la nuit passe… « Ce n’est pas la première fois, au cours de mon ministère, que j’ai remarqué cette lucidité aiguë des mourants. Il n’a pas suspecté votre fidélité : il a deviné que vous alliez l’un vers l’autre… Quand la mort est imminente, les fumées de l’égoïsme humain cessent d’obscurcir la conscience : on voit : » Bref, l’abbé, commentant l’abnégation du mort, veut que l’amour de Claire et d’Alain mène, quelque jour, ces deux coupables au mariage. Un tel projet, Claire ne l’agrée pas : tout ce qu’elle a de scrupule se révolte. « Laisse passer du temps ! » lui dit encore l’abbé.

Alain s’est engagé. Le péril de mort a commencé pour lui. Le temps passe. Alain revient, en permission… « La nuit affreuse couvrait toujours la France et le monde… » Il y avait, dans le village, beaucoup de deuils, beaucoup d’orphelins et de veuves. « Sous la nuit affreuse, d’autres causes de mal et de désordre que la mort travaillaient aussi : des liens se dénouaient, d’autres se nouaient ; une vie de l’arrière s’établissait, avec ses mœurs et ses lois différentes, avec ses rouages faussés. Qu’adviendrait-il de tout cela, quand de nouveau tout se verrait au grand jour ?… » Claire et Alain dînent au presbytère, avec Tatie, la tante de Claire. Et c’est au mois de septembre, sous la nuit lumineuse et fraîche. Après le dîner, Claire et Alain se promènent dans le jardin du presbytère. Et la vieille dame observe que Claire et Alain semblent s’entendre à merveille, oublier Charles : qu’en dites-vous, l’abbé ? « Je dis, Madame, que la volonté divine a séparé nettement les domaines respectifs de la mort et de la vie : ce n’est pas à nous de les confondre. J’aimais