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succès. Pour finir, Don Juan sollicite les faveurs de la servante d’auberge ; et il les obtiendra, mais en payant, comme les camarades. Je vous fais grâce des apparitions. L’une d’elles, qui figure la Mort elle-même, dit de ces choses de l’au-delà qui veulent être profondes. Que tout cela est long et déclamatoire !

Cette pièce a-t-elle un sens et quelle idée a pu guider l’auteur ? Quelques-uns de mes confrères se sont évertués à le découvrir, et j’avoue qu’après leurs explications la pièce m’a paru un peu plus obscure. Sans me flatter d’y avoir vu plus clair, il m’a semblé que M. Henry Bataille avait voulu dépoétiser une figure littéraire et dépouiller Don Juan de sa légende. Les créateurs du personnage l’ont montré à la fois charmant et terrible, séduisant et égoïste, irrésistible et odieux. M. Bataille élimine du type tout ce qui en faisait la séduction, même physique. Dès le début, Don Juan est posé en conquérant qui a renoncé à la conquête. C’est le séducteur honoraire. Au lieu de vivre ses aventures, il en écrit l’histoire. Il est énormément question de ses Mémoires à travers toute la pièce. Des Mémoires, fussent-ils les Mémoires de Don Juan, ce n’est, au théâtre, rien de bien excitant. Il paraît que la platitude de ces Mémoires n’a d’égale que leur grossièreté et je le crois sans peine. Cette fable montre que les poètes nous trompent en nous donnant Don Juan pour un héros, de quelque héroïsme que ce soit. A le prendre selon sa réalité, Don Juan n’est, dans sa jeunesse, que le libertin vulgaire et, dans sa vieillesse, que le vieux marcheur. Vérité toujours bonne à redire, sans doute, mais qu’on a déjà beaucoup dite et parfois mieux dite ; et il est fâcheux pour une opinion si édifiante, qu’elle nous soit présentée sous des couleurs si troubles, enveloppée d’une atmosphère si malsaine.

M. Brulé, élégant et aimable, tire le parti qu’il peut d’un rôle sans profondeur et même sans consistance. Tout le reste n’est que figuration.


RENE DOUMIC.