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Tu ne la suivras plus, un jour… — Mais pourquoi faire
                    T’attendrir brusquement ?
Tu vis, et tu ne sais à quoi bon ? Persévère
                    Encore un court moment.

Et peut-être bientôt verras-tu, — tout arrive,
                    Tout, même aussi le bien ! —
Ces beaux lieux que promet parfois sur notre rive
                    Un souffle élyséen.

NUIT DE PROVENCE

Ô nuit, ô belle nuit de Provence, bleuâtre !
Ô monts, pâles degrés de l’éternel théâtre
Où myrtes, roses, pins, cyprès noirs, azur clair,
L’un sur l’autre étages, assistent à la mer !
Ciel qui tournes ainsi qu’une divine roue,
Toi, lune, barque d’or tranchant l’air de ta proue,
Toi, doux bruit de la mer lointaine aux calmes plis,
Grand murmure qu’on sent plein de cailloux polis,
Et qui semblés, scandant une ineffable phrase,
La respiration de la Terre en extase,
— En des temps qui feraient s’épandre aux sabliers
Tout le sable de ces beaux golfes à mes pieds.
En des millions d’ans, en des milliards d’heures.
Durant les presqu’éternités antérieures.
Quand je ne vivais pas encore, vous étiez !
Vous étiez là déjà, sans moi ! — vous m’attendiez ! —
Et maintenant que je vous ai, beauté du monde.
Je ne puis arrêter le temps d’une seconde !
J’ai beau vouloir vous embrasser, vous retenir,
Vous passez, je vous sens naître ensemble et finir,
À chacun de mes pas un peu de vous me quitte,
Votre présence enfin n’est qu’une immense fuite,
Paysages plus bleus, mais plus vains que l’azur,
Pans du monde aspirés par le grand gouffre obscur.
Espaces que j’étreins du regard, étendues
Qui glissez comme l’air entre mes mains tendues !


Fernand Gregh.