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Les baisers, les aveux, les aventures folles,
Les rêves, vérité suprême de nos cœurs,
Rôdent dans les bosquets comme des lucioles,
Et nous joignons les mains pour capter leurs lueurs !

Des Tempés sont au bout de ta moindre venelle,
Et tes étoiles sont les fanaux vacillants
Que berce sur ses eaux la Venise éternelle,
Celle dont les palais sont les nuages blancs !

O nuit, noirceur du sein maternel, nuit féconde,
Entrailles où le sang des choses bat plus fort,
Ombre que le mystère où tout se crée inonde,
Refuge de l’amour, origine du monde,
Nuit qui fais espérer dans l’autre Ombre, la Mort !


PENSÉE


Ce soir, tu juges vain ton labeur de poète :
Ta voix même renonce, et veut rester muette
Au bord du grand silence où maint chant se perdit.
Chanter encor, d’ailleurs, à quoi bon ? Tout est dit.
Devant la page blanche un doute affreux te ronge.
Tu sens trembler la plume entre tes doigts…

Mais songe :
En écrivant des vers jusqu’au vent matinal,
Ce que tu fais, d’un geste anonyme et banal,
C’est une chose immense, auguste, un peu divine.
Ces mots que ton fervent souci pèse et combine,
Même indécis et joints en rythmes hésitants,
Ces pauvres mots, depuis l’origine des temps,
N’avaient jamais été disposés dans cet ordre.
Tes vers, gauches de l’âpre effort qui vient les tordre,
Sont une expression suprême, en ce moment,
Du vaste Esprit qui meut le monde obscurément,
De la grande Pensée épanouie en l’homme.
Quand sur eux inquiet tu t’inclines, c’est comme
Lorsque jadis Lucrèce ou Virgile, — penchant
Sur la cire amollie où s’essayait leur chant