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ces heures où était menacée la vie de chacun, les hommes courageux qui se donnèrent pour mission de recueillir les blessés et les morts dispersés çà et là, dans les maisons d’Athènes et du Pirée, aux environs de la capitale et jusque dans des demeures isolées : les docteurs Vaucel, Portmann, Belley, le commissaire Luce, d’autres qui nous pardonneront de les oublier ou de ne pas les connaître.

Du reste, constatons dans le déploiement de scélératesse où se complurent les auteurs du guet-apens certains faits qui sont à l’honneur de l’humanité. Je ne parle pas de la visite que firent dans les hôpitaux le roi Constantin et la reine Sophie, accompagnés du Diadoque, ni des témoignages de pitié qu’ils donnèrent aux blessés. Ils avaient encouru tant de responsabilités que peut-être voulurent-ils y opposer une preuve de leurs regrets, j’allais dire de leurs remords. Mais, dans plusieurs maisons d’Hellènes, l’accueil fait aux malheureux pour qui les médecins demandaient un abri, s’inspira d’un sentiment de compassion entièrement désintéressé.

Telles furent, indépendamment des négociations relatives à la cession des armes, les journées de décembre, dont le roi Constantin reste le principal responsable. Nous ne l’accusons pas d’avoir voulu l’effusion du sang, mais de l’avoir rendue inévitable en manquant à ses engagements.

Dans le plaidoyer par lequel, il y a quelques jours, il préparait son retour à Athènes et où il nous apparaît, comme Ruy Blas, « marchant vivant dans un rêve étoile, » il nous dit que la tragédie de décembre a été le résultat d’une « querelle de famille ; » mais il néglige de nous dire quel a été son rôle dans cette querelle. Heureusement, au moment où se termine cette partie de l’étude que nous lui avons consacrée, nos lecteurs ne l’ignorent plus : 53 tués dont 6 officiers, 138 blessés, 10 disparus, voilà pour la France le bilan de cette prétendue « querelle, » sans parler des circonstances effroyables qui ont accompagné l’hécatombe. Ces chiffres pèseront éternellement sur la mémoire de Constantin et, tant qu’il régnera, empêcheront les Français de considérer les Grecs comme un peuple ami.


ERNEST DAUDET.