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à dîner. C’était sur cette invitation que May fronçait les sourcils en savourant son thé et ses muffins.

— Vous, Newland, vous les connaissez. Mais moi, je serais affreusement intimidée chez des personnes que je n’ai jamais vues… Et puis, je ne sais pas comment m’habiller…

Newland se renversa sur sa chaise ; il sourit à sa jeune femme : jamais elle n’avait été plus belle, plus Diane. Était-ce l’humidité de l’air anglais qui avait avivé son teint, adouci le contour de ses traits ; ou bien, était-ce le rayonnement de son bonheur qui éclairait son visage ?

— Comment vous habiller, ma chérie ? N’avez-vous pas reçu de Paris, la semaine dernière, toute une caisse de robes neuves ?

— Certes, mais… laquelle mettre ? Je n’ai jamais dîné en ville à Londres, et je ne voudrais pas être ridicule…

Il essaya de comprendre sa perplexité :

— Les Anglaises ne s’habillent donc pas comme tout le monde le soir ?

— Newland ! Vous savez bien qu’elles vont au théâtre sans chapeaux, dans leurs robes du soir défraîchies.

— Alors, c’est sans doute chez elles qu’elles portent leurs robes du soir neuves… Mais, pour Mrs Carfry et miss Harle, elles auront des bonnets comme maman, et des châles… de jolis châles souples.

— Certainement ; mais les autres dames, comment seront-elles ?

Archer se demanda ce qui avait pu développer subitement chez May cette préoccupation nerveuse de la toilette qu’il avait aussi bien observée chez Janey. Il eut une inspiration :

— Pourquoi ne pas mettre la robe de votre mariage ?…

— Si je l’avais seulement ! Mais elle est à Paris, chez Worth, qui doit la transformer pour l’hiver prochain.

— Alors, je ne vois pas… — Il se leva. — Tenez ! Le brouillard se lève. Si nous allions jusqu’à la National Gallery essayer de voir les tableaux ?

Les Newland Archer étaient de passage à Londres, au retour du voyage de noces que May, dans ses lettres à ses amies, décrivait brièvement en le qualifiant d’ « enchanteur. » Après un mois passé à Paris à courir les couturières en vogue, May avait manifesté le désir de faire de l’alpinisme pendant le mois de juillet, et de la natation en août. Ce programme avait