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chuchoté sur la terrasse du château d’Annecy ? Les soirs d’été, quand j’y venais rêver dans ma jeunesse, bien des sentiments passaient au-dessus, comme de grands oiseaux, que nous cherchions à voir dans l’ombre. Et peut-être y avait-il, parmi eux, celui-là. Le mot du maréchal de Tessé rejoint celui de Hamlet sur l’incertitude où nous sommes des choses humaines : « Dans tous les temps, il y a eu pour les dames des apparences d’affaires dont l’écorce a été plus criminelle que l’intérieur. »

Ce même curé de village dont j’ai parlé et qui composait de saint François de Sales naissant un si beau portrait, avait accoutumé de finir ses sermons par une formule étrange au premier abord, dont je n’ai saisi que plus tard le sens profond. Quand il avait abordé un grand problème métaphysique, ou théologique, ou sentimental, déplorant tout à coup son impuissance d’argumentation devant les mystères sacrés, il étendait les bras comme s’il battait des ailes pour s’envoler, et il balbutiait dans une sorte d’humilité et de trouble intérieur : « Et puis tout… Et puis tout… » Après quoi, il descendait de la chaire, et comme son sermon l’avait mis en retard, pendant qu’il remettait sa chasuble et qu’on ne lui voyait pas la tête, il entonnait le Credo. Il m’a donné, sans le savoir, un précieux enseignement. Un moment vient, dans les choses du cœur ou de l’esprit, où nous rencontrons l’inexplicable. Pourquoi ne pas l’avouer par le moyen si simple de ce : « Et puis tout ! » qui permet à chacun de se pencher sur l’abîme et de mesurer sa profondeur ? Mais, pour achever la leçon, il entonnait le Credo.


HENRY BORDEAUX.