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naïvetés. Presque toutes les lois sociales ont gardé son empreinte. La loi des retraites ouvrières que, comme ministre en 1900 il prépara, que comme Président de la Commission il fit voter en 1906 à la Chambre, qui est celle que j’ai recueillie de ses mains, et fait voler modifiée en 1910 au Sénat, fut son grand acte. D’autres lois vinrent de lui, et surtout ce projet d’arbitrage, qui le jour où la conscience ouvrière l’acceptera, pourra en garantissant les droits de chacun, épargner à la paix publique de pénibles ruptures. Je ne l’engage pas en disant qu’aucune idée ne l’effraie ; mais l’ordre, la méthode, la légalité, ce qu’il appelle les paliers successifs, doivent être, avant toutes choses, garantis.

C’est ainsi que sans courtisanerie vis à vis de la foule, il a pu remplir pendant trente-cinq années ininterrompues, à la mesure de ses forces, son œuvre. Le peuple vaut mieux que ce qu’on en dit, ou que ce qu’il montre quelquefois lui-même. Après de provisoires disgrâces, il revient à qui lui a dit la vérité, si la clémence de la vie permet à celui-là d’être encore debout. Aux moments où, par le jeu de la politique, M. Millerand paraissait affaibli, j’ai souvent entendu de vieux ouvriers dire : « Tout de même, c’est un réalisateur. » A l’heure présente où des difficultés sociales peuvent s’entasser sur notre route, quoique nous ayons la joie de constater le calme de la France, un homme qui a exploré tous les problèmes sociaux et qui connaît la psychologie du travail sera, et d’autres raisons l’indiquent aussi, un guide pénétrant.

Cette élection récente ramène l’attention sur l’élection présidentielle en général, et peut-être, sans se hausser présomptueusement au rôle de l’historien, peut-on, après des expériences multiples, envisager l’emploi que la démocratie a fait depuis cinquante ans de l’arme redoutable de sa souveraineté. Je trouve qu’il est admirable qu’un Président disparu, un autre soit élu dans le silence général, dans la paix publique, et que, si des rumeurs ou des polémiques ont accompagné le candidat au seuil du pouvoir suprême, tout s’apaise dès qu’il est élu. Le cri de l’ancienne France poussé au chevet du Roi mort : « Le Roi est mort, Vive le Roi ! » cette sorte de saisine politique et historique se continue à travers les progrès des Révolutions, et s’applique à nos chefs élus. D’autre part, interprète de la volonté populaire, le Parlement, la plupart du temps, a su s’appuyer à l’âme du pays et élire l’homme nécessaire. Il en est aujourd’hui