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de Dostoïowsky, forment le chapitre le plus curieux de cette nouvelle Vie.

L’histoire du premier mariage de l’écrivain est, on le sait, la donnée de l’Eternel mari, qui se trouve être par malheur un de ses livres les plus manques. Cette union fut désastreuse. Pour Mlle Dostoïewsky, son père fut la dupe d’une indigne comédie. C’est au sortir du bagne et quelque temps avant sa démission de l’armée que le romancier connut à Omsk la femme du capitaine Issaïew. C’était un bas-bleu de province qui aspirait à jouer au fond de la Sibérie la « Muse du Département. » Elle se disait la fille d’un officier français : en réalité, son père était un mamelouck de la Garde, pris à Moscou, et dont s’était amourachée une Russe de la Caspienne. Elle avait un vaurien de fils d’une dizaine d’années, en qui se trahissait, par une paresse précoce et une vanité grotesque, la goutte du sang nègre. La fille de Dostoïewsky n’est pas tendre pour ce mulâtre. Issaïew mort, la veuve se laissa faire la cour et consentit, après diverses péripéties, à accorder sa main. Elle était plus vieille que Dostoïewsky et déjà atteinte de la poitrine. Elle trompa son mari abominablement, avant et après le mariage, et tout le temps du long voyage que firent les époux pour rentrer en Russie. Cependant son caractère s’aigrissait tous les jours ; sa mégalomanie se sentait ulcérée d’être affublée du nom d’un ancien déporté ; elle le trompait toujours et lui faisait des scènes. Un jour, dans un transport de rage, elle lui jeta à la figure toute la vérité. Dostoïewsky se sépara de cette furie. Mourante et irritée, elle allait à grands pas dans son appartement, râlant, les pommettes enflammées et, chaque fois que sa promenade la ramenait devant le portrait de son mari, elle lui criait : « Forçat ! Forçat ! »

Cette déconvenue bizarre aurait été le prélude de la crise passionnelle. Déçu dans son foyer, le pauvre homme aurait cherché à se consoler ailleurs. À ce moment, le ciel lui envoya Pauline. Pauline N. (le biographe ne nous dit pas son nom) était le type de l’étudiante russe, de cette étudiante qui mène la vie de garçon et pousse le mépris des préjugés bourgeois jusqu’à la pratique de l’union libre. C’était une héroïne de la Cité future. Le romancier était l’idole de la jeunesse, comme martyr de la liberté. La jeune fille lui sauta au cou et devint sa maîtresse. Les deux amants convinrent de se retrouver à Paris, qu’ils brûlaient de connaître.