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Il me paraît avoir l’avantage de ne pas écarter une solution pacifique et d’améliorer sous beaucoup de rapports les chances de la guerre, si celle-ci devient inévitable. J’ai l’honneur de déclarer avec le plus grand respect que pour moi, malgré mon dévouement à Votre Majesté, ou plus exactement à cause de ce dévouement même, il me serait impossible d’accepter la solution d’une guerre à tout prix.


Évidemment François-Joseph ne fut pas convaincu par les arguments de Tisza, puisqu’à son retour d’Ischl, le comte Berchtold se montra plus que jamais partisan de la violence. L’Allemagne, d’ailleurs, ne cessait de presser le Cabinet de Vienne. Le 12 juillet, le comte Szögeny, ambassadeur d’Autriche-Hongrie à Berlin, télégraphiait au comte Berchtold que le Kaiser et les cercles compétents poussaient à l’action contre les Serbes, et le chargeaient de donner à Vienne l’assurance que l’Angleterre resterait neutre. Le 14 juillet, Guillaume II écrivait à François-Joseph cette lettre entortillée, qui, sous un glacis de tendresse, est bien la plus sournoise invitation à la guerre :


« Mon cher ami,

« J’ai éprouvé une sincère reconnaissance à constater que, dans ces jours où des événements d’un tragique impressionnant ont fondu sur Toi et exigeaient de Toi des décisions graves, Tu as orienté Tes pensées vers notre amitié et terminé Ta bonne lettre en m’en renouvelant l’assurance. Cette étroite amitié, je la considère comme un précieux legs que m’ont transmis mon grand-père et mon père, et je vois dans la façon dont Tu me payes de retour la meilleure garantie pour la protection de nos pays. Mon respectueux attachement à Ta personne Te permettra de mesurer à quel point il m’a été pénible de devoir renoncer à mon voyage à Vienne et à cette manifestation publique du vif intérêt que je prends à Ta profonde douleur[1].

« Ton ambassadeur, homme éprouvé que j’estime sincèrement, T’aura transmis mon assurance qu’aux heures critiques Tu me trouveras fidèlement à Ton côté, moi et mon empire, comme l’exigent une amitié dès longtemps éprouvée et nos devoirs mutuels d’alliés. C’est pour moi un joyeux devoir de Te le redire dans cette lettre.

  1. Le Kaiser devait venir à Vienne pour assister aux obsèques de François-Ferdinand.