Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 60.djvu/835

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Parlement. La Hongrie détestait dans cet homme opiniâtre le destin mal équilibré que l’histoire lui avait fait, mais en fin de compte, elle se soumettait à lui comme à sa destinée elle-même.

Lorsque la guerre éclata, personne ne mit en doute que le comte Tisza ne se fut résolument employé à précipiter le conflit. N’avait-il pas toujours soutenu à la Chambre l’état-major autrichien ? Son admiration pour Bismarck, sa dévotion à l’Allemagne n’étaient un secret pour personne ; et l’empereur Guillaume déclarait volontiers que le Premier Ministre hongrois était la tête la plus solide de la Double Monarchie. François-Joseph avait en lui une confiance comme, au long de son règne, il n’en a montré à personne. Aurait-il jamais passé outre aux avis de son ministre, si celui-ci avait plaidé pour une solution pacifique ?… Tous ces raisonnements d’ailleurs, on ne se les faisait même pas, tant il semblait évident que, dans les heures tragiques de juillet 1914, le comte Tisza avait assumé sur lui toute la responsabilité de la guerre. En Autriche, comme en Hongrie, on lui en rapportait l’honneur. Flattés dans leur vanité, les Magyars acclamaient bruyamment, dans leur premier ministre, l’homme qui, à un moment décisif de l’histoire, avait tenu le sort de l’Europe dans ses mains. Et l’animosité, qui avait toujours enveloppé ce personnage intraitable, fit place tout à coup à une popularité immense.

Or, cette fois encore, entre Tisza et sa nation, il y avait un malentendu : Tisza n’a pas voulu la guerre. Mais c’était là un secret qu’il ne pouvait dire à personne. Il ne l’a pas même livré, alors que sa divulgation aurait pu détourner de lui le fusil de ses meurtriers. Et le drame de sa destinée, c’est moins son lugubre assassinat, que le cas de conscience, d’une haute beauté morale, qui l’a retenu de parler.


* * *

Le secret du comte Tisza, nous le connaissons aujourd’hui par la publication de ce qui s’est passé au Conseil de la Couronne, tenu à Vienne le 7 juillet 1914 sous la présidence du comte Berchtold, ministre des Affaires étrangères et de la Maison Impériale[1].

  1. Pièces diplomatiques concernant les événements qui ont précédé la guerre de 1914, publiées par le ministère des Affaires étrangères de la République autrichienne.