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jeter ses bras légers autour du cou. Tout son être palpitait dans l’attente… Soudain il vit un homme vêtu d’un épais pardessus, son col de fourrure relevé, qui s’avançait par le sentier vers la maison. Archer reconnut Julius Beaufort.

— Ah ! cria-t-il, éclatant d’un rire sonore.

Mme Olenska s’était élancée de sa chaise et était venue près de lui, glissant sa main dans la sienne ; mais, après avoir jeté un coup d’œil par la fenêtre, elle pâlit et recula.

— Enfin, je comprends !… dit Archer avec une ironie amère.

— Je ne savais pas qu’il fût ici, murmura-t-elle.

Sa main serrait encore celle d’Archer ; mais il s’éloigna d’elle brusquement, et, traversant le vestibule, il ouvrit la porte de la maison.

— Bonjour, Beaufort ! Par ici ! Mme Olenska vous attendait, dit-il.

Beaufort, visiblement contrarié de le trouver avec Mme Olenska, gardait quand même tout son aplomb. Il savait donner aux gens qui le gênaient l’impression qu’ils ne comptaient pas, qu’ils existaient à peine. Mais, malgré son air d’assurance habituelle, il ne pouvait effacer le pli qui s’était creusé entre ses yeux. Il semblait bien que Mme Olenska ignorât qu’il dût venir, et pourtant elle avait paru indiquer que cela était possible. La raison qu’il donna de son arrivée fut qu’il avait découvert, la veille au soir, une petite maison délicieuse, qui faisait absolument l’affaire de la jeune femme, mais qui pouvait lui être soufflée d’un moment à l’autre. Il se répandit en reproches agréables : quelle peine elle lui avait donnée en s’enfuyant juste au moment où il avait fait cette trouvaille !

— Si seulement cette nouveauté du téléphone était un peu plus perfectionnée, j’aurais pu vous avertir de loin, et je serais en train de me chauffer les pieds au feu du cercle, au lieu de courir après vous dans la neige, bougonna-t-il, déguisant sous une irritation feinte son réel déplaisir.

Mme Olenska détourna vivement la conversation sur le miracle de pouvoir un jour converser d’une rue à l’autre, ou même, — rêve insensé ! — d’une ville à l’autre. Ceci amena des souvenirs d’Edgar Poë et de Jules Verne ; et la question du téléphone les conduisit sans encombre jusqu’à la grande maison.