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fiancer. Vers minuit, il aida à mettre des poissons rouges dans le lit d’un des invités et à fabriquer un cambrioleur-mannequin dans le cabinet de toilette d’une tante timide. Enfin, il participa à la bataille d’oreillers qui, jusqu’après minuit, bouleversa la maison depuis les chambres d’enfants jusqu’à la cave. Mais le dimanche, il emprunta un traîneau pour aller à Skuytercliff.

La maison de Skuytercliff avait la prétention d’être une villa italienne. Construite par Mr van der Luyden en vue de son prochain mariage avec Miss Louisa Dagonet, c’était une grande bâtisse carrée, peinte en blanc et vert pâle, avec un portique corinthien et d’étroits pilastres entre les fenêtres. De la hauteur où elle était placée, une série de terrasses, que bordaient des balustrades surmontées d’urnes, descendait jusqu’à un petit lac à bord d’asphalte, ombragé de conifères pleureurs. À droite et à gauche des terrasses, s’étendaient les fameuses pelouses, parsemées d’arbres de choix, chacun d’une variété différente, et au delà, de longues rangées de serres. Plus bas, dans un vallonnement, se voyait la petite maison en pierres que le premier « Patroon » avait fait construire sur le terrain qui lui avait été concédé en 1605.

Contre la blanche étendue de neige et le ciel gris d’hiver, la villa italienne avait un aspect assez lugubre. Même en été, elle gardait sa dignité et les plus téméraires corbeilles de cannas ne s’aventuraient jamais à moins de trente pieds de sa façade. Quand Archer sonna, le long tintement sembla se prolonger comme dans un mausolée, et lorsqu’enfin le maître d’hôtel se présenta, il parut aussi étonné que s’il eût été réveillé de son dernier sommeil. Mais Archer était de la famille : le maître d’hôtel crut pouvoir lui dire que la comtesse Olenska était sortie pour se rendre, avec Mrs van der Luyden, aux offices du soir.

— Mr van der Luyden, continua le maître d’hôtel, est à la maison ; mais je crois qu’il finit sa sieste ou qu’il lit l’Evening Post d’hier. Je l’ai entendu dire ce matin, à son retour de l’église, qu’il lirait l’Evening Post après le déjeuner. Si vous le désirez, monsieur, je puis aller voir…

Archer répondit qu’il irait au-devant des dames, et le maître d’hôtel, visiblement soulagé, referma majestueusement la porte.

Un groom mena le traîneau aux écuries et Archer traversa