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— J’ai fait ce que vous désirez, — ce que vous m’avez conseillé, dit-elle sans préambule.

— Ah !… J’en suis heureux, répondit-il, embarrassé qu’elle abordât ce sujet à un pareil moment.

— Je me suis rendu compte que vous aviez raison, continua-t-elle, un peu haletante. Mais la vie est parfois difficile… troublante…

— Je sais !

— Je voulais vous dire que j’ai reconnu que vous aviez raison, et que je vous en ai de la gratitude, acheva-t-elle, en portant vivement sa lorgnette à ses yeux.

La porte de la loge s’ouvrit et laissa passer les éclats de voix de Beaufort.

Archer se leva, et sortit du théâtre.

La veille, il avait reçu une lettre de May Welland dans laquelle, avec une candeur caractéristique, elle lui demandait d’être « bon pour Ellen » en son absence… « Elle vous aime et vous admire beaucoup. Elle dissimule sa tristesse, mais elle est isolée et malheureuse. Je ne crois pas que grand’mère la comprenne, ni mon oncle Lovell Mingott. Ils la croient beaucoup plus mondaine qu’elle ne l’est réellement. Je comprends bien, quoi qu’en dise la famille, que New-York doit lui sembler triste. Je crois qu’elle est habituée à beaucoup de plaisirs que nous n’avons pas : à entendre de belle musique, à voir des expositions, à rencontrer les célébrités, les artistes et les auteurs, tous les gens intelligents que vous admirez. Grand’mère ne peut pas se mettre dans la tête qu’elle a besoin d’autre chose que de dîner en ville et d’être bien habillée. Pour moi, je ne vois à New-York que vous qui puissiez l’entretenir des choses qui l’intéressent vraiment. »

Sa May si sage ! Comme il l’aimait pour cette lettre ! Mais il n’avait pas eu l’intention de suivre ses avis. D’abord il était trop occupé, ensuite il ne tenait pas à jouer trop ostensiblement le rôle de champion de Mme Olenska. Elle savait se garder toute seule beaucoup mieux que ne le croyait la candide May. Elle avait Beaufort à ses pieds, Mr van der Luyden planait au-dessus d’elle comme une divinité protectrice, et de nombreux candidats attendaient leur tour de se déclarer ses défenseurs. Néanmoins, il ne voyait jamais la jeune femme, n’échangeait jamais un mot avec elle, sans se rendre compte que, dans sa