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toute enveloppée : Henri et le cardinal de Guise sont assassinés, elle-même et son fils Nemours sont emprisonnés à Blois. Henri III paie à son tour son crime. La duchesse et sa fille Catherine de Montpensier, le soir du meurtre royal, parcourent Paris en annonçant la « bonne nouvelle, » et aux Cordeliers Anne, exaltée, harangue le peuple.

Faut-il la suivre encore dans ses dernières années toujours agitées ? Son fils Nemours, à son tour, s’est retiré à Annecy où il meurt à vingt-huit ans, désirant de revoir sa mère qui n’a pas le temps de venir, car elle cherche à Paris des places pour ce mourant, et qui arrive enfin, trop tard. Les Guise ne sont plus au pouvoir : Henri IV est monté sur le trône et rétablit la paix dans le royaume ravagé par tant de querelles et de troubles. Elle vend à Henri IV le château de Verneuil pour Gabrielle d’Estrées ; elle dépêche à Ferrare le président Favre pour défendre ses droits ; elle est chargée d’aller à Marseille chercher Marie de Médicis ; elle fait venir à Paris l’évêque de Genève, François de Sales, dont elle a entendu parler et dont elle veut répandre la réputation ; elle ne cesse, elle ne peut cesser de remuer ciel et terre jusque dans son extrême vieillesse. Et elle demeure jusqu’à la fin « une très belle femme, nous dit Brantôme, en son printemps, son esté, son automne et son hyver encore, quoiqu’elle ait eu grande quantité d’ennuis et d’enfants. » Je crois bien : on lui avait assassiné un mari et deux fils ; sur huit enfants, il lui en restait deux ; elle avait perdu le beau Nemours ; elle avait vécu dans les guerres civiles, les complots, la tourmente ; son premier mari et son fils aîné avaient tenu dans leurs mains les destinées de la France ; mais elle avait encore à sa mort « deux énormes tresses blondes[1]. » Lancée à sa poursuite, la mort, à qui elle opposait son éternelle jeunesse, avait fini par l’atteindre le 17 mai 1607, à soixante-seize ans.

Elle fut ensevelie à Annecy, avec une belle oraison funèbre de saint François de Sales, et une longue épitaphe rédigée sans doute par quelque rhétoricien de l’Académie florimontane et dont je détache ce couplet : « Passant, ne refuse point l’assistance de tes prières que te demande cette pieuse dame, laquelle a toujours vécu chastement et qui a été l’épouse de deux grands

  1. Chanoine Ducis, cité par Mlle Poizat.