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aux environs de Turin. La maladie l’empêchait de recueillir les fruits de sa valeur militaire, de ses bons conseils politiques, de son beau mariage. Comment il vécut et mourut, jeune encore, dans la retraite dont il sortit deux ou trois fois, et magnifiquement, pour blâmer la Saint-Barthélémy, pour empocher le duc d’Alençon de se soulever contre son frère et de diviser le royaume, on le saura plus loin. Mais sa femme n’abandonna point la Cour pour le suivre dans cette retraite prématurée.

Elle eût été bien incapable de l’abandonner. Catherine de Médicis la réclamait sans cesse. Et la voilà constamment par les chemins, intriguant pour sa mère Renée de France qui a passé au protestantisme et veut avoir des ministres de sa religion chez elle, intriguant pour tous les Guise, — et ils sont nombreux, — pour les cardinaux, pour son fils Henri qui va surpasser la fortune de son père et périr plus tragiquement encore, pour son fils Mayenne, pour son gendre Montpensier plus âgé qu’elle, experte à solliciter, plus forte en droit qu’un procureur, obtenant des places, gagnant des faveurs, toujours belle avec des paroles dorées, accueillante et bonne, sauvant, la nuit de la Saint-Barthélémy, les protestants qui se sont réfugiés chez elle, et parmi eux la fille de Michel de l’Hôpital, plaisant à tous, et toujours à son mari qu’elle vient voir et consoler, mais pour peu de temps, car elle rejoint bien vite la vie trépidante de Paris et de la Cour. Elle s’en va en Espagne, à la cour de Philippe II, quand Charles-Emmanuel de Savoie s’y marie, et revient en Piémont où elle assiste à la mort de son second mari. « Elle a épousé deux honnêtes maris, dit Brantôme, et deux que peu ou point en eust-on trouvé de pareils, et s’il s’en trouvait encore un pareil et digne d’elle, elle le pourrait encore user, tant elle est encore belle. » Elle avait pourtant cinquante-trois ans. Comme elle avait pris en mains la cause des Guise après l’assassinat du duc, elle ne perd pas la carte à Turin après la mort de Nemours et fait dresser un inventaire qui sépare ce qui lui appartient de ce qui appartient à ses enfants. Elle réclame sa part d’héritage à la maison d’Este à Ferrare, puis à la Cour qui est sa famille, comme le remarque très justement Mlle Poizat. De Catherine de Médicis elle obtient la place de gouverneur de Lyon pour le fils aîné du duc de Nemours. Les Guise sont tout-puissants : Henri paraît être le maître de la France. Puis c’est l’effroyable tragédie dont elle est