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Nemours, elle ne le précise pas. A la supposer établie, rien n’a pu se passer comme dans le roman de Mme de Lafayette. Le duc de Guise avait, sous ses ordres, le duc de Nemours dans sa campagne d’Italie et dans ses campagnes de France, car il était lieutenant-général du royaume. Or, il ne cessa jamais de le protéger et de lui témoigner son amitié puissante, et souvent toute-puissante. Il aurait donc fait preuve d’une magnanimité incomparable envers le capitaine qui trompait son chef et qui n’a jamais cessé de s’appuyer sur le parti des Guise, et il en a peut-être fait preuve en effet, soit qu’il eût à reprocher à sa femme une trahison, soit qu’elle se fût contentée d’aimer en secret, mais alors voilà un trait qui manque à M. de Clèves et qui relève singulièrement le mari en face de l’amant. De plus, il ne se piqua jamais de la fidélité qui fait toute la gloire de M. de Clèves, bien que les passions de l’amour ne jouassent qu’un rôle secondaire dans cette vie encombrée du tracas des grandes affaires et du fracas des batailles. Enfin, il se réconcilia sans nul doute avec sa femme, s’ils furent jamais brouillés. Lors de l’échauffourée de Vassy, la duchesse était enceinte[1], et, plus tard, au siège d’Orléans, c’est en allant la rejoindre qu’il fut assassiné. Mais il est temps de peindre Mme de Guise.


V. — L’HISTOIRE : ANNE D’ESTE.

L’héroïne de Mme de La Fayette, qui croise avec tant de dévotion, de scrupule et de passion ses mains sur son cœur tremblant, offre-t-elle du moins quelque ressemblance avec Anne d’Este, duchesse de Guise ? Mlle Poizat, qui s’institue sa dernière et fervente biographe, ramasse, assemble ses moindres traits pour établir cette identité, et ne s’aperçoit pas que, rien qu’en se pliant à la vérité, elle nous représente une femme intelligente, politique, habile aux intrigues de Cour, souvent favorite et confidente de Catherine de Médicis, très préoccupée de la fortune de ses deux maris successifs et de ses nombreux enfants (cinq du premier, trois du second), aussi cultivée en droit et en procédure qu’a donnée aux belles-lettres et experte à la danse, toujours belle, toujours adroite, toujours active, ne

  1. Voyez le baron de Ruble.