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de Guise fut amoureuse, dans la réalité, de M. de Nemours — les pamphlets du temps n’hésitent point, et le lui donnent pour amant — se durent passer d’une autre façon. D’une phrase, le maréchal de Tessé, quand il envoie la Princesse de Clèves à la reine d’Espagne et quand il en attribue l’aventure au duc et à la duchesse de Guise, recompose la scène à vous donner le frisson : La pauvre princesse de Clèves n’en eut que la peur, mais le quart d’heure fut terrible. Souvenez-vous que le duc, un jour, contraignit sa femme à assister à une exécution. Mme de Clèves devient instantanément la pauvre princesse de Clèves et l’on tremble pour la malheureuse, tandis que Mme de La Fayette ne nous inspire guère de pitié que pour le mari, pour le pauvre M. de Clèves.

Les pamphlets, je l’ai dit, et aussi les historiens protestants, et encore la Satire Ménippée, chargent la duchesse du Guise de toutes sortes d’aventures amoureuses. Elle aurait été la maîtresse d’Henri II et celle du duc de Nemours. Pour celui-ci, le baron de Ruble ne le met pas en doute. Mais la prudence doit être de règle en pareille matière. Comme le dit encore le maréchal de Tessé qui me paraît être un délicieux psychologue : « Dans tous les temps et dans toutes les Cours, il y a eu pour les dames des apparences d’affaires dont l’écorce a été plus criminelle que l’intérieur. » La malignité publique s’exerce principalement contre la grandeur et la vertu. Anne d’Este, duchesse de Guise, avait l’une et peut-être l’autre. Aucun trait des chroniques à son endroit ne fournit une preuve convaincante. La plus formelle serait encore tirée du récit de Lancelot de Carle, évêque de Riez, qui assista aux dernières journées de François de Guise et qui en donna plusieurs versions successives dont les changements mêmes sont inquiétants. Dans la première, le duc fait à la duchesse l’aveu de ses fautes et fragilités de jeunesse et ajoute : « Je vous prie m’en vouloir excuser et me les pardonner, comme je vous pardonne, combien que mes offenses soient beaucoup plus grandes que les vôtres. » Lors de la réimpression du récit de l’évêque, ce passage fut supprimé. Il fut rétabli dans une troisième édition, avec ce correctif : « Sans jamais entrer en aucun soupçon de vous[1]. »

Où Mlle Valentine Poizat a-t-elle puisé la certitude de l’aveu fait par la duchesse a son mari de sa passion pour M. de

  1. L’assassinat de François de Lorraine, par le baron de Ruble.