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pour ce fort aimé de tout le monde, et principalement des dames, desquelles (au moins d’aucunes) il en a tiré des faveurs et bonnes fortunes plus qu’il n’en voulait ; et plusieurs en a il refusé qui lui en eussent bien voulu départir.


Mme de La Fayette a lu Brantôme, et même elle l’a copié. Chez elle, le texte est plus sec, plus dépouillé ; comme un vin vieux, il a plus de corps et moins de bouquet. Brantôme multiplie les énumérations à quoi Mme de Lafayette substitue son trait sur. Mais Brantôme a tout de même un bout de phrase que Mme de La Fayette n’a pas trouvé, quand il montre M. de Nemours créant, pour ainsi dire, son atmosphère avec ses gestes et actions : tout naissant avec lui. Là est le grand attrait de M. de Nemours : il a de la grâce naturelle. Auprès de lui, les autres ne sont qu’imitation et affectation. De même Bussy-Rabutin, dans son Histoire amoureuse des Gaules, dira de son cousin Rabutin-Chantal, le père de Mme de Sévigné : « Il y avait un tour à tout ce qu’il disait qui réjouissait les gens ; mais ce n’était pas seulement par-là qu’il plaisait : c’était encore par l’air et par la grâce dont il disait les choses : tout jouait en lui. » Dans Brantôme, cependant, il n’y a pas que ce portrait de M. de Nemours : il nous donne bien d’autres détails sur ses bonnes fortunes, ses méthodes amoureuses, ses campagnes et ses rhumatismes, tandis que Mme de La Fayette s’en est tenue à peu près à la première esquisse, pour la compléter ou la modifier par d’autres traits qui portent sa marque.

« J’ai connu, dit encore Brantôme de son personnage, deux fort grandes dames, des belles du monde, qui l’ont bien aimé et qui en ont brûlé à feu découvert et couvert, que les cendres de discrétion ne pouvaient tant couvrir qu’il ne parut. Plusieurs fois leur ai-je vu laisser les vêpres à demi dites pour l’aller voir jouer ou à la paume ou au ballon, en la basse cour du logis de nos rois. Pour en aimer trop une et lui être fort fidèle, il ne voulut aimer l’autre qui pourtant l’aimait toujours… » Quel joueur de tennis, aujourd’hui, viderait ainsi les églises ? Mais peut-être les belles dames vont-elles moins aux vêpres et perdent ainsi l’occasion de les quitter. Les noms des deux curieuses nous sont rapportés par la chronique : elles se nommaient Françoise de Rohan et Anne d’Este. La première fut abandonnée pour la blonde duchesse de Guise. Mme de La Fayette fait allusion à cette