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écrit un réquisitoire contre la science, et, — chose plus inattendue, — contre la morale. Il soutenait que, plus une doctrine est déterministe, plus sa morale est rigoureuse : que, par conséquent, le criminel Robert Greslou, le héros du livre, qui est un fervent adepte des théories déterministes, doit en même temps, s’il est logique avec lui-même, se considérer comme un grand coupable. Il est bien possible que les puritains qui croyaient à la prédestination, c’est-à-dire à une sorte de déterminisme moral, aient été des moralistes farouches. Mais, en dépit de toutes les arguties, le châtiment du criminel par la société ou par un justicier quelconque, nous apparaît comme une iniquité, si cet homme n’est pas libre. Le monde nous devient non seulement inhabitable, mais inintelligible, si la justice est désarmée et si nous n’admettons cet élément, en apparence perturbateur, qu’est la liberté humaine au milieu des lois nécessaires qui, pour notre entendement, régissent l’univers. Il faut donc que nous soyons libres, qu’il y ait un accord mystérieux entre le monde de la liberté et le monde du déterminisme. Et, s’il y a une liberté, c’est qu’il y a un bien et un mal. Nos actions ne sont plus seulement un spectacle, un objet de contemplation pour le « pur sujet connaissant : » elles sont en soi bonnes ou mauvaises. Il dépend de nous de créer du bien ou du mal : l’idée de responsabilité apparaît. Le point de vue de Flaubert se complète par celui de Bourget.

Pour l’auteur du Disciple, en effet, l’âme humaine n’est plus seulement un simple mécanisme d’horlogerie spirituelle, c’est une force libre ou esclave, qui crée de la douleur ou de la joie, de la laideur ou de la beauté, suivant qu’elle agit d’accord avec un ordre mystérieux et pourtant perceptible par la conscience, ou qu’elle se laisse aller, par le poids de ses passions ; dans le sens du désordre, de la douleur et de la mort. Ici surtout l’arbre est jugé par son fruit. Si l’on choisit d’œuvrer dans le sens de l’ordre et de la vie, avec quelle attention scrupuleuse ne doit-on pas peser le moindre de ses actes ? Le monde est, pour chacun de nous, un perpétuel drame en action, une activité qui engendre à l’infini une postérité toujours en travail de bonnes ou de mauvaises œuvres.

Il y a un ordre d’en bas et un ordre d’en haut, celui du déterminisme et celui de la grâce, celui de la matière et celui de