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courbées sur les pages du leur poète favori, ou bien, étendues sur leurs chaises-longues, poursuivant un rêve, nostalgiques et frémissantes… » Ah ! que cela était donc bien dit ! Nous aussi, nous étions « nostalgiques et frémissants. » Nous frémissions d’une espérance encore confuse, et, si nous ne savions pas le but vers lequel nous marchions, nous nous étions déjà levés pour le retour…

On peut plaisanter cette sentimentalité aujourd’hui surannée. On peut sourire de ces belles pécheresses, à qui les dissertations du romancier chercheur de cruelles énigmes offraient de si faciles excuses. Les jeunes gens de 1885 étaient conquis par lui. Ce qu’ils percevaient surtout à travers ses livres, c’était comme un souffle d’affranchissement. Enfin ! on était sorti du cloaque naturaliste. Si l’on ne respirait pas encore le grand air des cimes, l’atmosphère, au moins, était débarrassée de ses miasmes les plus pestilentiels.


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Les aventures de l’amour ainsi conçu par M. Paul Bourget, — de « l’amour moderne, » comme il l’appelle, amour souillé et pourtant épris de pureté, affreusement égoïste et brutal, et pourtant assoiffé d’idéal et de sacrifice, amour-spleen, amour morbide, qui courbe l’intellectuel sous la loi de l’instinct et qui, en même temps, l’exalte par des mirages de félicité impossible, en lui rappelant sa vraie nature qui est d’aimer le Bien unique, — tout cela s’exprime dans les premières œuvres du romancier et de l’essayiste. C’est ce qu’on est convenu d’appeler sa première manière. Pour moi, je suis convaincu que là est le vrai Bourget, ou du moins le plus intime, le plus naturel peut-être. Ce monde un peu trouble et malsain de la sentimentalité faussée ou aiguisée par l’intelligence, mêlée de luxure et de remords, sincère et factice tout ensemble, c’est le domaine où sans doute il se plaît davantage, c’est son jardin secret. Lui-même ne dissimule pas sa prédilection pour cet étrange livre qu’il a intitulé la Physiologie de l’amour moderne, où les propositions les plus hardies et quelquefois les plus cyniques voisinent avec des confessions douloureuses et contrites, où l’on entend le cri de détresse d’une conscience restée chrétienne, où la Courtisane, non pas même la Femme, est tour à tour adorée et maudite avec une virulence toute biblique, avec une sorte d’horreur