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susciter d’autres faits et d’autres idées qui me complètent ou me rectifient. Tout cela en vue d’un résultat positif. Il importe autant de jauger les aptitudes morales de la Rhénanie que ses aptitudes matérielles. Et les unes et les autres sans y mêler nos émotions de la guerre. Objectivement. Il faut que nous étudiions l’esprit du Rhin comme d’autres étudient sa navigabilité. Des faits, et encore des faits ; dussions-nous paraître froids. La chaleur sera en dessous.

Puisse cette chaleur nous aider à faire fondre cette gangue prussienne qui a dénaturé sur tant de points les aspects rhénans ! Il n’est pas nécessaire d’avoir fait de l’étude de l’Allemagne une spécialité pour savoir que l’Etat des Hohenzollern n’a installé sur le Rhin ses méthodes qu’à la suite d’habiles extensions territoriales, d’intrusions systématiques, de mariages prussiens. Les armées d’observation que Berlin, au cours du XIXe siècle, chaque fois que s’agitait l’esprit révolutionnaire de l’Occident, faisait manœuvrer sur les frontières de la Belgique, du Luxembourg et de la France, n’ont été que trop souvent les messagères de l’esprit pangermaniste. Pourquoi des souvenirs français n’aideraient-ils pas à restituer leur vraie dignité à ce pays que le flot prussien croyait avoir décidément submergé ?

J’ai confiance que mes paroles descendront le fleuve. Mais immédiatement ma réussite serait que mes propos inachevés fussent complétés par des travailleurs qui sont ici à pied d’œuvre, que des solutions fragmentaires dans mon esprit reçussent ici leur complément par une collaboration qui dépasse mon séjour parmi vous, et que l’esprit d’entreprise de l’Alsace sût apporter à des problèmes que la France aperçoit sans toujours les connaître leur meilleure réalisation.

Une des plus touchantes légendes qui dans le passé ont associé la Rhénanie mosellane à l’Alsace médiévale, c’est celle de saint Hydulphe, évêque de Trêves, rendant la vue à sainte Odile. Pouvons-nous espérer qu’une Rhénanie à laquelle nous voudrions ouvrir les yeux sur ses intérêts de demain y soit conviée par une parole venue d’Alsace ?


MAURICE BARRES.