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avoir maintenant la maîtrise incontestée. C’est à elle qu’appartiennent dorénavant Pirano, ou le doge Ziani battit, en 1177, la flotte de Frédéric Barberousse ; Rovigno, dont la cathédrale rappelle le dôme de Saint-Marc, Rovigno, où l’amiral Tégetthoff rassembla, en 1866, l’escadre autrichienne avant de partir pour Lissa ; — Pola, dont l’amphithéâtre romain ressemble à celui de Vérone et dont la rade, les arsenaux, les forteresses, font une des places maritimes les plus puissantes ; — les îles de Cherso, d’Unie et de Lussin ; — Zara, que les Vénitiens ont jadis entourée de murs et de bastions et dont la célèbre Porta Marina est encore surmontée d’un superbe lion de Saint-Marc, Zara dans les rues de laquelle on rencontre, à chaque pas, des souvenirs romains, des inscriptions vénitiennes, des noms italiens, la Piazza Colonna, la Riva Vecchia, la Piazza dei Signori, les Cinque Pozzi, la Porta Terraferma, que sais-je encore ?

La ville de Fiume, que le traité de Londres laissait à la Serbie, n’est pas attribuée à l’Italie ; mais le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes la reconnaît indépendante, et il semble que Gabriele d’Annunzio lui-même devrait regarder cette combinaison comme une issue inespérée de son aventureuse expédition et comme un véritable succès personnel. Après tout, voilà la régence de Carnaro libérée de toute tutelle et déclarée majeure. La première pensée du commandant d’Annunzio paraît avoir été d’élargir le domaine du nouvel État ; il a envoyé des vedettes aux deux îles de Veglia et d’Arbe ; il a fait occuper les districts de Castua ; bref, il a, de nouveau, agité son trident et soufflé la tempête au fond du golfe. Souhaitons qu’il apaise bientôt lui-même les flots qu’il a soulevés. Il serait assurément très regrettable qu’après avoir si utilement contribué à entraîner l’Italie contre les Empires du Centre, d’Annunzio risquât de compromettre par des prétentions intempestives les garanties que la victoire vient enfin de donner à l’unité de son pays. L’auteur de Il fuoco a voulu montrer au monde qu’un grand poète peut être un homme d’action. Il lui reste à nous prouver demain qu’un homme d’action peut être, à l’occasion, un homme de prudence et de raison.

Si nous descendons la côte au-delà de Fiume dans la direction de Sebenico, nous nous trouvons devant la partie qui, à l’exception de Zara, est laissée au Royaume Serbe, Croate et Slovène ; et il est vrai que Zaravecchia a été, à un moment, conquise par les doges Falieri et Micheli, que Sebenico a tantôt appartenu à la Hongrie et tantôt à Venise, que Traù, elle aussi, a été longuement disputée entre les Croates, les Magyars et les Vénitiens, que Dioclétien est né à