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classique et la tradition nationale, complétant et corrigeant au besoin l’une par l’autre. À ce sujet, je trouve très caractéristique la dispute engagée entre M. Casimir Morawski et quelques professeurs allemands. M. Morawski s’était permis de reprocher aux Allemands le culte immodéré qu’ils professent pour leur ancien vainqueur, Jules César, et pour ses Commentaires. « Comme lettré, j’admire sang réserve l’ouvrage de César, disait le savant latiniste de Cracovie ; comme éducateur, je trouve dangereux un livre dont chaque page est une glorification de la force, une apologie du succès. » Les pédagogues allemands lui répondirent qu’ils ne souhaitaient point pour leur jeunesse de meilleur maître que César, ni de morale politique plus édifiante que celle qui se dégage des Commentaires. Rien ne fait mieux ressortir la différence entre les manières de penser et de sentir, entre deux cultures, entre deux traditions.

Mais si les qualités de l’âme nationale se révèlent dans la doctrine des professeurs polonais, on les retrouve plus malaisément dans leurs méthodes ; ici, me semble-t-il, c’est l’esprit allemand qui triomphe encore, comme naguère il triomphait chez nous. « L’influence allemande, m’expliquait Mgr Radziszewski, recteur de l’Université de Lublin, s’est exercée directement en Galicie et en Posnanie, indirectement dans le Royaume, par l’intermédiaire des Russes, qui étaient tout imbus des systèmes allemands. A l’Université de Pétersbourg, on ne reconnaissait aux Français la maîtrise qu’en un seul domaine : la philologie, la littérature et l’histoire du moyen âge le prestige de votre Gaston Paris était considérable, mais unique. Pour toutes les autres sciences, et surtout pour la philologie classique, on ne s’en rapportait qu’aux Allemands. Nous vivons encore ici sous l’influence de ce préjugé. »

Le R. P. Woronieski, professeur à la même Université, m’a exposé dans ses grandes, lignes le projet de réforme de l’enseignement élaboré par une commission d’universitaires sur l’ordre du gouvernement polonais. A côté de quelques idées entièrement nouvelles, comme celle d’une éducation nationale fondée, non plus sur la culture classique, mais sur les mathématiques, on ne trouve guère dans ce projet qu’une application scrupuleuse, presque servile, des méthodes allemandes : systèmes allemands d’enseignement, de recherche scientifique, de cycles d’étude, d’examens ; manie allemande de choisir les