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attaché au détail des cérémonies extérieures, incline au contraire vers l’uniatisme. Eh bien ! dit le Saint-Père, que l’Intelligence soit latine et le peuple uniate : il n’importe guère, pourvu que l’Intelligence et le peuple restent catholiques. »

J’avais le dessein, pour étudier d’un peu plus près les problèmes politiques et religieux qui se posent en Lithuanie et en Russie-Blanche de m’arrêter quelques jours à Vilna et à Kowno, et de pousser à l’Est jusqu’à Minsk et à Mohilew : les bolchévistes en disposèrent autrement. J’espérais du moins obtenir de personnes compétentes, à Varsovie ou ailleurs, une documentation sérieuse et impartiale sur ces questions : j’ai dû également y renoncer. Trop de passion, des deux côtés, se mêle aux raisonnements, à l’évocation des précédents historiques, et jusqu’à l’interprétation des chiffres. De tout ce que j’avais observé à Rome, au cours des vingt dernières années, il m’était resté l’impression que les Polonais avaient une tendance à traiter les Lithuaniens et les Blancs-Russiens, comme ils étaient traités eux-mêmes par les Russes, et qu’en particulier le clergé de Pologne, entraîné par son ardeur patriotique, n’avait pas eu toujours assez d’égard pour la nationalité, les traditions, la langue de populations douces, religieuses et ignorantes. C’est par les missionnaires catholiques que la Pologne pénétra d’abord en Lithuanie ; c’est grâce à eux que le polonais y devint la langue officielle de l’église, puis celle de l’école. Des évêques passionnés comme Krasinski, Zylinski, Charles Hrymiewski, allèrent jusqu’à nier l’existence de la langue lithuanienne, ou à la qualifier de « langue de païens. » En 1900, lors de la célébration du jubilé, le pape Léon XIII voulut qu’au moment où il ouvrirait à Rome la Porte Sainte, les Lithuaniens entendissent dans la cathédrale de Vilna un sermon prêché, des cantiques chantés dans leur langue nationale. Une relation détaillée de la cérémonie fut reçue au Vatican : en entendant pour la première fois depuis des siècles la langue et les chants lithuaniens résonner dans leur église, les gens de Vilna pleuraient de joie. Une souscription fut ouverte entre les fidèles en vue d’ériger à Saint-Nicolas une croix jubilaire, accompagnée d’une inscription en lithuanien. Le curé s’y prêta volontiers ; mais l’évêque, ayant eu connaissance de ce projet, s’y opposa et donna l’ordre de placer dans l’église une croix portant l’inscription en langue polonaise.