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trois mois, et qui n’arrivait point. Je fis observer au chanoine que ce retard était sans doute plutôt imputable aux événements politiques et militaires qu’à la mauvaise volonté du Saint-Siège ou de son Visiteur ; et je redescendis la colline de Saint-Georges, pour me rendre chez l’archevêque latin.

Mgr Bilczewski voulut bien me donner quelques détails sur la situation religieuse de son diocèse.

— Nous avons beaucoup souffert de la guerre, me dit-il. Soixante de mes prêtres sont morts, la plupart terrassés par le typhus, six tués par les Ukrainiens. Nos paroisses, très étendues, demanderaient des curés jeunes et vigoureux. Malheureusement, le clergé latin est aussi rare que le clergé ruthène est nombreux. En fait, les fidèles vont à l’église la plus proche et demandent les sacrements au premier pasteur qu’ils rencontrent, sans trop s’inquiéter de la différence de rite.

« Dans les années qui ont précédé la guerre, les relations étaient devenues meilleures entre Polonais et Ukrainiens ; les mariages mixtes étaient fréquents ; les garçons suivaient alors la religion du père, les filles celle de la mère. Vous imaginez les querelles, souvent sanglantes, que la guerre a fait éclater dans toutes ces familles. Les prêtres ruthènes, qui s’occupent beaucoup de politique et exercent une grande influence sur leurs fidèles, ont tout fait pour envenimer le conflit. Pour moi, j’invite mon clergé à se tenir à l’écart de la lutte et à réserver son activité pour les œuvres sociales, que nous ne multiplierons jamais assez. Que de malades, dans mon diocèse, qui succombent faute de soins ! Que d’enfants rendus orphelins par la guerre, qui n’ont pas encore été recueillis ! Notre devoir est tout marqué : réparer les ruines et adoucir les souffrances ; les prêtres latins s’y emploient de toutes leurs forces.

Belle et touchante figure d’ecclésiastique, que celle de l’archevêque latin. On dirait qu’en les évoquant il contemple douloureusement les ruines matérielles et morales que- la guerre a laissées dans son diocèse. Mais aucun découragement ne perce sous cette tristesse, Lwow en a vu bien d’autres ! Ville frontière entre deux mondes, sans cesse foulée par les invasions, son histoire n’est qu’une longue suite de sièges, d’incendies et de pillages. Et pourtant, elle a su garder de beaux restes. Un sourire éclaire le visage pale de Mgr Bilczewski, lorsqu’il, me parle de sa cathédrale moins somptueuse que