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revers. Entre ces deux bandes de valeurs si différentes, nul intervalle visible ; mais l’œil sent bien l’espace qui les sépare, et l’on sait que si l’on avançait un peu à droite de la route, une grande nappe vide se découvrirait : toute la baie de Douarnenez, dont se lève là-bas l’autre bord.

Il fait plus frais par ici ; la campagne est presque nue, les arbres comme hérissés d’un perpétuel frisson. Et là-bas, la haute flèche de Ploaré (surveillant au loin tout le golfe) rappelle, par les clochetons aigus de sa base et l’élancement de ses arêtes, tous ceux de l’extrême Léon. Et de même, la pauvreté des maisons, la tenue des femmes qui s’assombrit, — longs châles noirs, dont la pointe frangée descend presque jusqu’aux talons, simple bonnet de filet — tout annonce les mêmes influences, la même âme qui règnent aux environs de Brest. A moins de huit lieues de la côte sud, comme on se sent loin des lagunes et pinèdes de Loctudy, des fastueuses bigoudens, de la quasi-méridionale Concarneau, de ses reflets et ondoyantes bariolures, de toute l’heureuse Bretagne de moyen âge et de légende !


A la ville, je retrouvais partout des aspects de la Brest ancienne, celle de mon enfance, plus pauvre que celle d’aujourd’hui, plus peuplée de coeffes, et traversée de carrioles paysan nos, — une Brest où l’on n’entendait guère, dans les sordides faubourgs, parmi le claquement multiplié des galoches, que le rauque, chantant parler celtique.

Plus de joyeuse couleur. Du gris, du noir, du blanc le blanc flétri, délavé de la chaux sur les humbles façades, entre les bordures de granit, où persiste, même en été, la sombre trace des grains et du crachin (ici passe cette frange de pluies plus constantes qui traîne tout au bout de la Bretagne, qui va jusqu’à Landerneau et ne va pas jusqu’à Morlaix). Des odeurs de moisi, de marée, de « fritures » ; des rues étroites, plébéiennes, populeuses, la ville n’ayant pu grandir entre les grandes eaux de la baie, les hauteurs de Ploaré, le port de pêche, et le profond couloir marin du Rhu, où des bateaux échoués sur les vases ont leur retraite à l’ombre des chênes. Dans cet espace confiné, des familles de pêcheurs se serrent en de sombres appartements qui sont rarement de deux