Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 60.djvu/582

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

primitif, de cette terre bretonne apparaît. Longues nappes de lande dont la maigreur révèle et, çà et là, laisse percer le modelé du granit. Entre deux de ces pentes graves, mais que l’or automnal de l’ajonc enchante aujourd’hui, je vois briller des eaux lointaines : les grands estuaires de Pont-l’Abbé, où s’en va finir le tout petit ruisseau de ce vallon. On devine là-bas des îles, des chenaux bleus entre de vaporeux bouquets de pins, même une très lointaine blancheur qui doit être l’Ile-Tudy, la petite ville de pécheurs, au ras des flots. L’eau salée, d’ailleurs, est là tout près : si l’on s’avance un peu dans le ravin, on découvre un moulin de la mer. Rapide vision d’un pays à part, comme celui de chez nous, d’un petit monde clos, et qui ne se révèle au dehors que par cette étroite échappée. La carriole passe vite, et tout de suite c’est fini ; il n’y a plus qu’une lande sur un coteau qui se referme.


C’est près de là, quand il y a longtemps que nous ne sommes venus, que nous sautons à terre pour aller revoir certains châtaigniers qui sont les plus vieux vivants de la Bretagne, et sans doute ils ont peu d’aînés dans le monde. De la route, leurs dômes réunis semblent quelconques. Il faut avoir été conduit jusqu’à leur pied par quelque initié pour les connaître.

Un sentier nous y mène, à travers la brousse dorée, et puis un chemin creux entre deux talus du même or. Une ferme se cache au revers de la pente : on ne la voit pas, quand on arrive à la hauteur de l’enclos qu’habitent ces ancêtres.

On pousse une barrière, et c’est alors qu’on découvre leur taille et leur physionomie véritables. Une prodigieuse assemblée. Ils ne sont pas très hauts : un mauvais sort, a pesé sur leur croissance. Mais il faut étendre vingt fois les deux bras pour faire le tour de l’un d’eux, par-dessus les torsions, nœuds, bosselures, gonflements, tout le chaotique tourment de son écorce. On comprend les vieilles histoires celtiques de génies magiquement enfermés en des arbres, et couda m nés à rester là, convulsés pour toujours dans leur peine et leur effort. Les autres, aussi, ont perdu forme d’arbres : des rochers, plutôt, sous des houles de feuillages suspendus. Beaux feuillages, qui commencent à jaunir, oblongs, dentelés, connue ceux des châtaigniers plantés par les hommes d’aujourd’hui. Ils furent si frais, il y a quelques mois, de jeune sève ! Car ils sont bien vivants, les vieux