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rendez-vous de parties fines. Il est construit sur pilotis au bord de la mer ; il est presque toujours fermé à 3 heures du matin, mais, ce jour-là, comme il importait qu’il restât ouvert et qu’il ne s’y trouvât ni étrangers, ni espions, — car le service des renseignements savait que plusieurs individus avaient juré d’assassiner Vénizélos, — la seule manière d’empêcher la fermeture du restaurant Platon était de l’occuper. Vers une heure du matin, une joyeuse compagnie vint s’y installer et personne ne connut le but de cette petite fête, sauf ses organisateurs. Lorsque l’automobile qui transportait le Président signala son approche par deux coups de trompe, les fêtards retinrent comme par hasard avec eux le personnel domestique et musical de l’établissement. A la faveur de cette animation, Vénizélos et Coundouriotis purent traverser, inaperçus, la terrasse du restaurant et gagner rapidement le canot qui les attendait au pied de l’escalier. Deux minutes après, ils montaient sur la vedette canadienne qui les conduisait aussitôt à l’Espéria, mouillée au large, ses feux masqués. L’embarquement sur l’Espéria eut lieu à 3 h. 15 du matin.

Vénizélos, averti qu’on voulait l’assassiner, avait eu quelque appréhension à voir tant de monde au restaurant Platon ; mais il se déclara émerveillé quand il eut connaissance du stratagème qui l’avait ému. Pendant qu’il quittait Athènes, un automobile était allé ostensiblement chercher ses bagages à son domicile et les conduisait au nouveau Phalère, d’où ils étaient transportés sur l’Espéria. En prévision d’un obstacle pouvant empêcher l’exécution de ce programme, tout avait été préparé pour en faire aboutir un autre deux heures plus tard, au cap Sunium ; mais cette précaution fut aussi inutile que l’emploi des revolvers dont tout le monde était muni.

En arrivant sur l’Espéria, Vénizélos remercia chaleureusement les officiers français qui avaient assuré son embarquement, en leur laissant un souvenir personnel, et on se sépara à 4 heures du matin aux cris de « Vive la France, vivo la nouvelle Grèce ! » La vedette canadienne ramena au Pirée tout le personnel de la mission navale, tandis que l’Espéria emportait César et sa fortune, appareillé pour la Crète, escorté par le contre-torpilleur Magon.


ERNEST DAUDET.