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le feu. A en croire les bruits qui circulaient, il avait fait allumer en face du brasier qui s’étendait de minute en minute un autre foyer dans l’espoir d’opposer au premier une barrière de flammes. Cette manœuvre, loin d’atténuer le sinistre, l’avait aggravé en créant autour de Constantin un cercle embrasé qui menaçait de devenir infranchissable quand le château d’été encore préservé serait atteint, ce, qui ne pouvait tarder, les communs commençant à brûler. Il fallait déguerpir au plus vite sous peine de périr.

Le Roi s’élança droit devant lui dans la direction où il croyait voir une issue. Mais à une bifurcation d’allées, il fut arrêté par deux fonctionnaires de sa cour, le capitaine Chryssospatris, chef de sa police privée, et le colonel du génie Dellaporta, chargé de la direction du service des automobiles royales. Germanophiles militants, leur remplacement avait été demandé par les Alliés et, certes, ils ne prévoyaient pas qu’ils allaient avoir à regretter que la protection du prince eût empêché qu’on les expulsât. « Sire, Sire, par ici, crièrent-ils en voyant le Roi. — Non, non, pas par-là, répondit une autre voix. » C’était celle d’un caporal qui, tandis que Constantin semblait hésiter, le prit à bras le corps et l’entraîna presque malgré lui dans une autre direction, tandis que Chryssospatris et Dellaporta s’engageaient dans celle qu’ils avaient choisie. Mais ils ne purent aller loin. Aveuglés et étouffés par la fumée, ils tombèrent dans les flammes et lorsqu’on retrouva les deux cadavres, ils étaient carbonisés.

L’incendie ne prit fin que le surlendemain ; il s’arrêta devant la sépulture royale où reposent le roi Georges et son petit-fils, le roi Alexandre, ce qui fut interprété comme un témoignage de la protection céleste. Le palais d’hiver avait échappé aux flammes, mais le château d’été n’existait plus : les dommages occasionnés par le sinistre furent évalués à vingt millions. La forêt, le parc, les serres, le parterre qui étaient, parait-il, incomparables, avaient été entièrement consumés[1].

  1. Il est intéressant de rappeler que l’une des victimes, le capitaine Chryssospatris, fut remplacé dans ses fonctions par le sous-écuyer de la cour, M. Manos, dont la fille a épousé morganatiquement le roi Alexandre.