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expressions de colère et de violence. « Je ne suis ni pour les Allemands, ni pour les Français, ni pour les Anglais, bien que je préfère les Anglais et que Paris m’ait laissé le plus charmant souvenir. Je suis pour les Grecs et je veux que vous cessiez d’abuser de mon pays. Si je vous parle ainsi, c’est pour qu’on sache ce que je pense. M. Briand s’est fait de la Grèce une idée absolument fausse ; il a orienté l’opinion publique vers ses conceptions. Tout ce qui est favorable à son opinion trouve en France une large publicité ; tout ce qui y est contraire est arrêté par la censure, et c’est pourquoi je ne puis me défendre contre l’opinion malveillante que le public français a de moi. J’en vois tous les jours des preuves. Ainsi, ces jours derniers, je lisais dans un journal que l’armée d’Orient craignait d’être attaquée par les Grecs. Eh bien ! l’armée grecque est ma propriété ; elle obéira à tous les ordres que je lui donnerai et vous vous faites une illusion si vous croyez le contraire. Or, j’ai donné ma parole d’honneur de Roi que l’armée grecque n’attaquerait jamais l’armée d’Orient. Pourquoi continue-t-on à laisser circuler le bruit contraire ? Vous, qui êtes militaire, vous ne pouvez pas ne pas comprendre qu’à cette heure la diplomatie s’époumone en vain parce qu’elle a la prétention de diriger les événements, alors que ce sont les armes qui doivent le faire. » Il y eut un silence ; puis le Roi reprit sur un ton adouci : « Voyez tous les Rois qui sont aujourd’hui en exil : le roi de Serbie, le roi des Belges, le roi de Monténégro… Moi je ne veux pas aller en exil. »

A prendre au pied de la lettre le langage que venait de tenir Constantin à l’attaché naval de France, on n’y trouve rien qui en apparence excédât son droit d’être maître chez soi. M. de Roquefeuil n’en eût pas douté, si, dès ce moment, il n’eût déjà recueilli les nombreuses preuves de la duplicité du souverain. N’était-il pas visible que sous l’influence de la Reine, de ses frères, du personnel germanophile de sa cour, et tout en se déclarant neutre, il s’était vendu corps et âme aux Allemands et formait incessamment des vœux pour leur victoire et la défaite des Puissances alliées ? M. de Roquefeuil emporta de cette audience sensationnelle la conviction que le Roi ne se rangerait jamais du côté de l’Entente et que c’était une utopie d’espérer le faire évoluer dans ce sens. Tandis qu’il évoquait sans cesse les arguments propres à justifier ses défiances et ses colères