Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 60.djvu/521

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

consolations, ni de l’appui moral d’un jeune homme d’aussi petite envergure que lui, Newland Archer.

Ces considérations ironiques rendaient quelque lustre aux ternes vertus domestiques. Impossible d’imaginer May Welland étalant ses affaires privées et répandant ses confidences parmi des étrangers ! Jamais elle ne lui sembla plus fine et plus charmante que dans la semaine qui suivit. Il s’était même résigné aux longues fiançailles, depuis qu’elle avait trouvé à lui opposer un argument qui l’avait désarmé. « Vous savez que vos parents vous ont toujours cédé depuis votre enfance, » avait-il dit. Elle, avec son clair regard, lui avait répondu : « C’est bien pour cela qu’il me serait dur de leur refuser la dernière chose qu’ils aient à me demander, avant que je ne les quitte. » C’était la note du vieux New-York : c’était celle qu’il aimerait toujours à retrouver chez sa femme.

Les documents dont il prit connaissance ne lui apprirent pas grand’chose, mais le plongèrent dans un courant d’idées pénibles. C’était un échange de lettres entre l’avocat du comte Olenski et l’étude parisienne à laquelle la comtesse avait confié la défense de ses intérêts financiers. Il y avait aussi une courte lettre du comte à sa femme. Après l’avoir lue, Archer se leva, serra les papiers dans leur enveloppe et rentra dans le bureau de Mr Letterblair.

— Voici les lettres, monsieur. C’est entendu, je verrai la comtesse Olenska, dit-il, d’une voix nerveuse.

— Je vous remercie, Mr Archer. Êtes-vous libre ce soir ? Venez dîner ; nous causerons ensuite, pour le cas où vous voudriez voir notre cliente dès demain.

Newland Archer rentra directement chez lui. C’était une soirée d’une lumineuse transparence : une lune jeune et candide montait au-dessus des toits. Archer voulait imprégner son âme de cette pure splendeur, et ne parler à personne jusqu’au moment de son rendez-vous avec Mr Letterblair. Depuis la lecture des lettres, il avait compris qu’il fallait qu’il vît lui-même Mme Olenska, afin d’éviter que les secrets de la jeune femme ne fussent exposés devant d’autres. Une grande vague de compassion avait eu raison de son indifférence. Ellen Olenska se présentait à lui comme une créature malheureuse et sans défense, qu’il fallait, à tout prix, empêcher d’entreprendre une lutte dont elle ne sortirait que plus meurtrie.