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se font des cadeaux, l’ancienne prête ses enfants à la nouvelle. Dernièrement, Stahr avec Fanny et deux filles de son premier mariage était au Harz et a dû empêcher sa première femme de venir les retrouver, à cause de l’effet singulier qu’il aurait fait à table d’hôte entre ses deux femmes. Du reste, lune de miel continue. Stahr se met parfois derrière la chaise de Fanny et dit : « Savez-vous que Fanny Lewald est le premier écrivain du monde ? » Elle rougit un peu, se défend ; mais, pour elle, Stahr est non seulement le premier écrivain, mais le premier homme du monde.

Mme P. me conte une histoire analogue d’un avocat d’ici ? les deux femmes vivent très bien ensemble, les enfants de la première viennent passer un jour par semaine chez la seconde, et l’appellent « maman. »

Impossible en France, ce sont là des sentiments à part. Goethe avait admis d’abord ce dénouement pour sa Stella, et c’est celui du chevalier allemand qui revient avec la fille du Kalife.

Le ridicule n’est pas senti. Dans les annonces je lis : « Fiancés, M. et Mlle tels. » — « Douloureuse nouvelle. J’apprends à mes amis et connaissances que ma chère tante Mlle X. vient d’être rappelée à Dieu ; elle avait été pour moi comme une mère, » etc. — On ne voit pas d’avance le sourire moqueur du lecteur.

Mlle von G. est romancier autant que traducteur ; elle vient de finir une nouvelle qui paraît dans le « Salon ; » la scène est aux Pyrénées où elle a passé plusieurs années. Selon elle, les lectures des jeunes filles et femmes sont Gœthe, Schiller, et tous les romans anglais ; on les leur donne en masse et de confiance ; (au contraire un roman français, quel qu’il soit, inspire toujours de la défiance, il y a un préjugé contre nos idées et nos mœurs) ; en outre, Shakspeare (ceci pure pédanterie, car Shakspeare est ce qu’il y a de plus abandonné et de plus cru) ; les journaux, les revues hebdomadaires, qui abondent en romans ; certains ouvrages de piété et de théologie, la Nouvelle Vie de Jésus'' de Strauss (celle de Renan a été lue partout). Elles vont plus à l’église et en apparence sont plus orthodoxes que les hommes, lesquels sont libres penseurs ; mais, au fond, chacune se fait sa religion, sa vie religieuse intérieure particulière, son cercle d’idées et d’impressions personnelles. C’est une poésie que chacun arrange à sa façon, selon ses besoins.

Mlle von G. insiste sur ce point que des Allemands et