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contrainte, rien n’est possible, et encore ne réussit-elle qu’imparfaitement à instruire le paysan, l’ouvrier. Selon M. L… ils ne sont pas encore capables de voter ; leur cercle d’idées est trop étroit, et il y a plus de cinquante ans que l’obligation est en vigueur ; rien de plus tenace et de plus lourd que les masses populaires. — Hors de l’école, continuent-ils à lire, ou bien oublient-ils ce qu’ils ont appris ? — Ils lisent, mais beaucoup désapprennent à écrire et ne savent plus que signer leur nom. Il y a des Fortbildungschulen, écoles de continuation et de perfectionnement, où l’on va deux fois par semaine en hiver après quatorze ans et où on apprend en outre diverses petites choses, la tenue des livres, etc. Mais en Saxe et en Prusse ces écoles ne sont pas obligatoires ; elles le sont à Bade, en Wurtemberg, en Bavière. Depuis 1848 on s’est beaucoup occupé de l’enseignement populaire. C’est une question vitale. M. L… me donne un rapport publié par l’association pédagogique de Berlin sur les livres qui conviennent au peuple et à la jeunesse. On en a composé un très grand nombre, la plupart mauvais ; rien de plus difficile que de savoir parler aux simples de façon à les intéresser et à les instruire sans les rebuter ni les mettre en défiance ; il ne faut pas avoir l’air de leur faire la leçon. Le meilleur de ces auteurs est Karl Stöber, mort récemment ; ses Erzählungen sont excellentes. De ce genre on a des récits historiques, de petits romans, des vies de grands hommes, la réforme protestante expliquée aux peuples, une histoire universelle avec gravures, de petits traités d’histoire naturelle. Le peuple lit : il y a tel journal à bon marché tiré à 500 000 exemplaires. Mais il faudra encore bien du temps pour élever les esprits et les renseigner suffisamment pour qu’ils puissent prendre part à la politique en connaissance de cause.

Rendez-vous après dîner chez M. L… avec M. G… Là, pendant trois heures et demie, nous causons à fond. Pourquoi les Allemands dans leurs écrits sont-ils si arrogants, si persuadés qu’ils sont la nation élue, etc ?… (Naturellement je pose la question en termes polis). Réponse : Après la guerre de Trente ans, nous avons trop admiré les autres peuples, nous nous sommes méprisés, nous avons apporté chez nous les mœurs et les idées françaises ; Goethe et Schiller eux-mêmes étaient cosmopolites, oubliaient d’être Allemands. Le sentiment national a commencé avec les romantiques, Schlegel, Tieck ; il est