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un Rathhaus[1], la résidence ducale, un admirable parc, une grande bibliothèque. Et cinq ou six grands hommes qui l’ont remplie de leur séjour, Wieland, Herder, Gœthe, Schiller, leurs statues en bronze, les rues appelées de leur nom, leur maison avec une inscription. Cela est unique. Quel dommage s’il y avait là un préfet ! Reste à savoir si le grand-duc et sa cour coûtent au pays beaucoup plus d’argent qu’un préfet. Mais le parc est si beau, et l’aspect du pays si touchant pour une âme septentrionale ! Il a plu, et depuis Francfort le paysage, à part quelques districts monotones, est une suite de vallées vertes, boisées, humides. Hier, de Weimar à Leipzig, sous la lumière du soir, je voyais défiler des bouquets d’arbres, des prairies infinies, des verdures d’une sève incomparable. Les galliums blancs, les oseilles rouges, font des taches fondues à la Rubens dans le vert universel ; le paysage est semblable à une jeune femme délicate, tendre, un peu triste, aux joues fleuries et aux yeux aisément mouillés de larmes. À Weimar, du chemin de fer, on embrasse d’un regard tout l’ensemble du pays ; deux ou trois plis de collines vertes qui vont s’étageant et s’effaçant les unes derrière les autres, la ville aux toits brunis, avec ses clochers aigus, posée tranquillement au fond de la vallée, la riche et magnifique forêt de grands arbres qui font le parc sur la gauche. Quand j’ai vu pour la première fois ce parc, c’était entre deux visites après une ondée. Les gazons touffus étaient aussi hauts qu’en Angleterre, le soleil s’étalait sur les herbes et sa lumière tombait en cascade de feuillage en feuillage, une fraîcheur, une odeur saine sortait de toutes ces verdures mouillées. Rien de pédant, rien de régulier, ni de petit, de coquet, dans cette architecture végétale. Gœthe et son prince ont été ici de vrais artistes ; c’est une ville, un parc et un pays faits pour le travail et le rêve poétique.

Conversation avec M. L… conseiller supérieur pour l’enseignement : 50 à 55 ans, carré de taille, homme loyal et sérieux, amateur passionné de Schopenhauer dont il me montre le portrait, et capable d’éclats de passion, quand on le met sur son terrain, la question des écoles. — Tout le monde sait lire, écrire, compter. Les parents sont obligés d’envoyer leurs enfants à l’école, six heures par jour, jusqu’à quatorze ans. Sans cette

  1. Hôtel de Ville.