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Thiers n’apporte qu’un appel à la bonne volonté du gouvernement, puisqu’il se borne à lui dire : « Tâchez de vous désarmer ; parce que vous êtes trop fort. » On peut dire, ce qui du reste est faire l’éloge de son intelligence, que jamais Thiers n’a même parlé contre son propre système, n’en a jamais mieux vu le défaut, et qu’il l’a signalé mieux que personne.

S’il n’y apporte aucun remède, que le remède anodin d’un avertissement au pouvoir, c’est que l’antinomie est insoluble et qu’il le sait bien ; c’est que la centralisation non seulement détruit les libertés particulières, — c’est précisément en quoi elle consiste — mais fausse la liberté générale et, sans précisément la détruire, lui donne une forme inexacte et un jeu irrégulier. Elle donne à un gouvernement une majorité considérable à la veille du jour où le gouvernement adverse en aura une tout aussi forte, parce que d’un jour à l’autre les « cadres » se sont portés d’un parti à l’autre, ce qui prouve assez probablement que ni la majorité d’hier ni celle d’aujourd’hui ne sont des représentations fidèles de l’état du pays, et ce qui met dans l’évolution politique des variations brusques, des heurts et des bonds, des sautes de vent peu conformes sans doute aux lois de la nature.

Le système de Thiers se compose donc de deux termes à très peu près inconciliables. Il a voulu être centralisateur libéral, et par la force des choses, la conciliation étant difficile, il n’a pu être que centralisateur avec la bonne volonté d’être libéral. D’abord, par goût de la centralisation, il a réduit la liberté à n’être que le système parlementaire, ce qui est la réduire ; ensuite il a éprouvé que le système parlementaire est comme un corps étranger dans un système de centralisation, y est gêné et presque illusoire.

Ces choses sont vraies ; mais il y en a une qui est bien plus vraie encore, c’est qu’en concevant ce système Thiers n’a pas fait autre chose qu’être très intelligent, qu’avoir l’intelligence qui était la sienne, à savoir celle des faits, que voir très juste quelles étaient les conditions où la Révolution française avait placé pour longtemps la France et où la France était pour longtemps forcée de vivre. La Révolution française a centralisé et renforcé le pouvoir ; elle n’a pas fait autre chose ; et elle a laissé à la postérité, si les circonstances le lui permettent, le soin d’y faire entrer la liberté, ou d’établir autour ou en dehors de lui des libertés. La Révolution française a ramassé le pouvoir au