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gouvernementale : le monde ouvrier, qui est autonome, et qui, par parenthèse, demande dans la plupart des systèmes socialistes à ne plus l’être et à devenir fonctionnaire ou semi-fonctionnaire ; le monde des professions libérales non fonctionnaires, qui se réduit aux avocats et médecins ; et enfin l’argent, qui peut contrebalancer sur certains points l’influence gouvernementale. Il n’en est pas moins vrai que l’action du pouvoir exécutif sur une nation où les corps constitués sont des agents du pouvoir exécutif est énorme. Elle altère toujours la sincérité de la réponse électorale ; elle fait que le pays répond toujours au gouvernement à peu près ce qu’il veut qu’il réponde.

C’est un danger assez grand, non pas que le pouvoir exécutif soit nécessairement mauvais, non pas que le despotisme lui-même soit nécessairement stupide ; mais il a besoin d’être éclairé sur les vrais besoins du pays, et même sur ses vrais désirs, et de cette façon il ne l’est pas, bien pis encore, il ne l’est pas, croyant l’être, disant qu’il l’est, et se couvrant des résultats d’une consultation qui est illusoire, et c’est là l’état le plus dangereux pour un gouvernement.

Thiers a signalé ce péril plusieurs fois, en 1864 surtout, dans le discours des « Libertés nécessaires, » mais déjà en 1844, vingt ans presque jour pour jour (16 janvier, 14 janvier) avant son magnifique avertissement à l’Empire. C’est en 1844 qu’il disait : « Vous avez un grand problème à résoudre ; c’est de faire coïncider, marcher ensemble, le gouvernement représentatif et la centralisation. Cela est très difficile, et si l’on prétend y avoir réussi le premier jour de manière qu’il n’y ait plus rien à faire à cet égard, je dis qu’on avance une grande témérité. Cependant il faut que le gouvernement représentatif et la centralisation marchent ensemble ; car le gouvernement représentatif, c’est la Charte (à cette époque, c’est la Charte signifie : c’est la liberté) et la centralisation, c’est la force même du pays. Or, prenez garde ; quand un gouvernement a le droit, le devoir, comme vous voudrez l’appeler, le malheur quelquefois d’avoir à distribuer tous les emplois de l’Etat et qu’il faut qu’il fasse cela à côté d’un système électif à presque tous ses degrés, il ne peut manquer d’y avoir de redoutables tentations auxquelles il doit être urgent de mettre un frein. »

Voilà l’antinomie très nettement, et même admirablement, mise en lumière. Résolue, non certes, puisque comme solution,