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décidé qu’on l’attendrait, qu’alors seulement s’ouvrirait la discussion ; et ce fut sous une impression de faveur visible que la séance fut levée.

Le lendemain, dans les cafés, dans les promenades, au théâtre, un nom se retrouva sur toutes les lèvres, celui de ce jeune homme qui avait osé associer deux mots jugés jusque-là inconciliables : celui de religion, celui de liberté. Il fallait, s’il se pouvait, interrompre au plus vite le courant naissant de sympathie. C’est à quoi s’appliquèrent, sans perdre une heure, les philosophes, les officieux, les jacobins. Tout l’art fut d’omettre ou de défigurer les hautes maximes que Camille Jordan avait proclamées et de transformer le beau manifeste d’émancipation chrétienne en une puérile revendication de sacristie. On affecta de trouver tout à fait singulier ce jeune député, tout nouveau venu de sa province, qui avait osé remettre en honneur des formules abolies. On fouilla à travers le rapport, avec l’espoir d’en extraire quelques phrases que la raillerie pût exploiter. Camille Jordan avait parlé longuement, trop longuement peut-être, des sonneries de cloches et du prix qu’y attachaient les paysans. La presse sectaire ne voulut pas retenir autre chose : « Jordan carillon, dit-on, Jordan les cloches. » La caricature souligna et compléta le travestissement. Le plus étrange fut que cet effort peu loyal réussit à tromper ou à égarer le plus grand nombre des historiens. Du manifeste qui, dès 1797, s’efforça d’établir la liberté religieuse, beaucoup n’ont parlé qu’avec un bref dédain, témoin ce jugement sommaire de Mignet : « Camille Jordan, dit-il, était un jeune homme plein de courage et d’éloquence, mais professant des opinions intempestives. »


IV

C’était en vain que la presse directoriale s’armait de railleries ou affichait le mépris. L’impulsion était donnée. De tous côtés, les pétitions affluent au Conseil des Cinq-Cents. Il en vient, le 3 messidor, du Bourbonnais, de la Normandie, de la Touraine ; le 6 et le 8, de la Bourgogne et de la Bretagne ; le 9, du Cotentin ; le 10, de la Lorraine et de la région parisienne ; le 11, de l’un des arrondissements de Paris ; le 12, de la Vendée. Dans le même temps, la Belgique en envoie, et de très pressantes ; car, là-bas, on est bien près de la guerre civile. Les jours suivants,