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art à bien dire, l’ardeur réfléchie de ses convictions. Cependant, la refonte de toutes les lois religieuses représenterait un immense travail. Il fut convenu que l’un des commissaires, le député Dubruel, se chargerait, en un rapport spécial, de demander le rappel des lois sur la déportation. Pour la tâche principale, Camille Jordan, malgré sa jeunesse et peut-être à cause de sa jeunesse, fut choisi. C’est à lui qu’il appartiendrait de prendre le premier la parole et de développer les principes généraux sur la liberté religieuse, le serment, la police des cultes.

Et, maintenant, en celle séance du 29 prairial, le voici à la tribune. Dès qu’il y monte, amis et adversaires font pareillement silence, les uns par sympathie et impatiente attente d’applaudir, les autres dans l’espoir que quelque parole intempérance, échappant à l’inexpérience de la jeunesse, permettra de dénoncer le fanatisme renaissant.

Avec une habileté modeste, Camille Jordan invoque d’abord l’autorité de la Commission dont il n’est que l’organe. Avocat de la liberté, il a soin de marquer qu’il la revendique pour toutes les manifestations légitimes de la pensée humaine : « Le temps de tous les fanatismes est, dit-il, passé. » Et il ajoute dans le style de l’époque : « Une douce et tolérante philosophie a fixé son sanctuaire dans le temple des lois. » De sa jeunesse, il s’excuse, juste assez pour écarter de lui tout reproche de témérité. Un unique souci d’ailleurs le domine, celui de sa cause : « Si, contre le vœu de mon cœur, il m’échappait, dit-il, quelque parole imprudente, elle n’appartient qu’à moi et ne doit nuire qu’à moi. »

Ayant parlé de la sorte, Camille Jordan trace le tableau de la législation passée. L’Assemblée constituante, en décrétant la constitution civile, a tenté de créer une Eglise d’Etat. La Terreur, en accumulant les châtiments, a proscrit toutes les religions. Après le 9 thermidor, un commencement de justice a inspiré des mesures sagement libérales, mais timides, incomplètes, toutes traversées par les retours de la haine ou de l’arbitraire. Maintenant, la loi suprême est la Constitution avec laquelle toutes les lois doivent s’harmoniser. Et Camille Jordan lit l’article 354 du pacte fondamental de l’an III : « Nul ne peut être empêché, en se conformant aux lois, de professer le culte qu’il a choisi. »