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en mettant dans ce qu’on faisait moins de réalité, moins de beauté, moins de force. Car il est plus facile de se distinguer par le retranchement et la pénurie que par la générosité et l’abondance. Voilà toute l’histoire des évolutions de l’Art à partir du moment où, ne suivant plus une ligne ascensionnelle, il s’est mis à tournoyer sur lui-même, à repasser par des états intermédiaires où on l’avait déjà vu et finalement à déchoir. Toutes les théories, les gloses à prétention philosophique, ne servent qu’à masquer cette désobligeante évidence, sinon aux yeux des esprits simples, au moins à quelques raffinés, en leur faisant accroire qu’ils sortent du « commun, » lorsque c’est du « sens commun » qu’ils s’évadent, ou plus précisément du « bon sens. » Ce qui manque, d’ailleurs, à ces raffinés autant que la simplicité, c’est justement la pénétration analytique. Ils croient à des trouvailles de l’Art moderne, parce qu’ils ne voient point que ces prétendues nouveautés sont contenues dans les œuvres des anciens maîtres. Mais ceux-ci, infiniment plus riches de techniques et de puissance émotive que les modernes, ne montaient pas le moindre procédé en épingle et ne le présentaient pas, isolé de toute beauté, comme une foudroyante révélation. Ils renouvelaient l’Art par l’accumulation des richesses. Aujourd’hui, on ne le renouvelle que par le vide. Les critiques empêtrés dans leurs formules de synthèse et de suggestion hésitent à le proclamer. Mais la foule est plus simpliste et moins dupe. Quand il n’y a rien, elle voit qu’il n’y a rien, et elle le dit.

Aussi pour parer à ce coup droit, la critique moderne enseigne-t-elle cet axiome que toujours, en face d’une forme d’art nouvelle, la foule se trompe. Mais c’est à voir et la démonstration ne serait pas si facile. Quand le sâr Péladan exhibait, au Salon de la Rose-Croix, il y a quelque trente ans, les œuvres de ses disciples qu’il appelait « magnifiques, artistes monumentaux, dignes de fresquer la maison carrée à Nîmes et de se tenir devant Titien, » la foule hilare ne cachait pas son scepticisme à l’égard de cette renaissance de l’Art idéaliste. Et, à la vérité, elle ne se trompait pas : nulle renaissance n’en est sortie.

Lorsque, plus récemment, il y a une vingtaine d’années, les expositions regorgèrent des entreprises du modern style, et que les critiques d’art voulurent imposer au bourgeois récalcitrant des tables myriapodes, des fauteuils incompatibles, des crédences