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Le public s’exaspère-t-il de semblables libertés prises avec la figure humaine ? À merveille ! C’est l’aventure arrivée au Balzac. « Ce sont des cris indécents, écrivait Mirbeau, des colères folles, des rires insultants. Jamais statue ne vit autour de son piédestal de plus laides figures tordues par de plus hideuses grimaces. Chacun va jeter un peu de sa bave, un peu de sa boue sur ce monument le plus impeccable peut-être que Rodin ait créé… » Voilà qui venge de tous les sarcasmes populaires les œuvres de M. Picabia, de M. Picasso ou de M. Archipenko.

Craindrez-vous, au surplus, que le cubisme soit la négation de tous les maîtres anciens des grandes époques de l’Art, que si les Fauves ont raison, Raphaël et Léonard de Vinci, Vélasquez et Titien n’y n’aient jamais rien compris… Détrompez-vous ! Nul n’est plus respectueux des dieux anciens que ces anarchistes. Ils les revendiquent parmi leurs ancêtres, ils se vantent d’être leurs fils légitimes. Tel, d’ailleurs, Degas, admirateur d’Ingres, entendait bien tenir de lui son dessin. Oh ! l’on a fait du chemin depuis Courbet et la tactique auprès du bourgeois est autrement habile ! On dit très bien aujourd’hui à l’amateur stupéfait : Poussin, Raphaël, Chardin, Ingres, Cézanne, Seurat et le douanier Rousseau ! procédé renouvelé du scrutin de liste. On met en tête des noms qui emportent l’adhésion de tout le monde et à leur suite des noms qui, présentés tout seuls, n’emporteraient celle de personne. Dans les élections, il est vrai, on ne peut disposer du nom d’un grand homme sans son assentiment. Les morts sont plus accommodants et l’on frémit en pensant à la façon dont M. Ingres accueillerait, s’il revenait en ce monde pour en faire la connaissance, sa surprenante postérité !

Enfin, que veut-on de plus pour reconnaître dans le mouvement cubiste les vertus de ceux qui l’ont précédé ? On nous a démontré la beauté des plus insignifiants Cézanne et des plus hurlants Renoir, comment ? En nous montrant les prix qu’ils obtiennent dans les ventes et l’importance des collections où ils sont entrés. Mais la même sorte d’argument peut être invoquée par les cubistes. Leurs œuvres, d’abord contestées, se vendent. Il y a des collections où l’on n’en voudrait pas d’autres. Des publications luxueuses les reproduisent avec un soin jaloux et grande dépense de gravure. Plus d’un faiseur de « synthèses dynamiques » peut dire : « On m’achète, — donc je suis. » Il n’est ainsi aucune des raisons alléguées en faveur des écoles modernes que les Cubistes ne