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ni de philosophie d’histoire. Il s’est seulement demandé de très bonne heure comment la France, après la Révolution et l’Empire, devait s’organiser, ou plutôt comment elle devait démêler et reconnaître l’organisation qu’après la Révolution et l’Empire, la force des choses lui imposait.

De là ce programme politique que Thiers a, presque dès ses commencements, exposé tout entier et dont il ne s’est pas départi, à travers toutes sortes de vicissitudes, et le flux et le reflux des événements. Car il n’y a pas que les systématiques qui soient entêtés. Ce sont aussi les hommes, qui, sans le moindre système universel, savent prévoir à peu près l’état de la santé d’un peuple pendant une soixantaine d’années, le régime qu’en conséquence il s’agit de lui faire suivre et où il sera toujours ramené comme nécessairement, et qui ont assez bien prévu pour ne pas recevoir des événements de graves démentis. C’est ainsi que ce sceptique a été parfaitement obstiné, et que, sans conviction absolue, sans dogme, il a toujours dit sensiblement la même chose, ce qui est à l’ordinaire le privilège des dogmatiques. De dogme point ; mais le programme était là, qui, en ses traits généraux, compte tenu et contrôle fait des circonstances, lui paraissait toujours applicable et seul applicable utilement.

Ce programme peut être ramassé en deux mots : système parlementaire et centralisation. Thiers tenait autant à l’un qu’à l’autre. Pour lui la centralisation était la force dont la France avait besoin dans la situation en Europe que lui avaient faite la Révolution et l’Empire ; le système parlementaire était la liberté dont la France avait le goût invincible depuis 1789. La force, c’est la centralisation, et il n’y en a pas d’autre ; la liberté, c’est le système parlementaire, et il n’y en a pas d’autre, et tout autre n’est qu’un sophisme : voilà les deux points cardinaux de Thiers, voilà tout son fond politique depuis 1830 jusqu’en 1877. Ses premiers discours sous le gouvernement de Juillet sont ardemment centralisateurs, et le système parlementaire, avec la liste des « libertés nécessaires » qu’il comporte, on le trouvera dans le grand discours de Thiers au Corps législatif, le 11 janvier 1864 ; mais il est déjà au premier volume de l’Histoire de la Révolution française, c’est-à-dire en 1825 : « Il y avait eu en France des États-Généraux… Il y avait eu une autorité royale tour à tour nulle ou absolue.