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il y avait de choses dans un tableau, plus il était honorable d’en découvrir. Le beau mérite d’éprouver de vives jouissances de couleur chez Rubens ou de pénétration psychologique chez Holbein ! Ce qui est rare et partant précieux, ce qui classe un amateur, c’est de les ressentir devant quelques hachures grosses de sous-entendus, quelques nébuleuses génératrices de mondes. La nature n’étant nullement un modèle, ni une inspiratrice, mais seulement un prétexte, un profane seul pouvait encore songer à confronter avec elle l’œuvre d’art. Pour en juger et de son degré de réalisation, c’est à la conception ou à l’intention de l’artiste qu’il la fallait associer.

Ainsi, pouvait-on parvenir à tout comprendre et à étendre indéfiniment le domaine de sa sensibilité. Quoi que se proposât l’artiste, on devait s’efforcer de s’y adapter, pourvu, toutefois, que ce fut quelque chose de nouveau et d’assez abscons pour ne pas se révéler d’abord à tous. Voilà le thème de l’art et de la critique essentiellement subjectivistes. Le critérium n’est placé ni dans l’aspect sensible des choses, ni dans l’observation des lois physiologiques de l’Art, ni même dans le sentiment moyen du public, — ce qui lui conserverait un certain degré d’objectivisme. Bien au contraire, ce consentement unanime est tenu pour une contre-indication. « L’unique grandeur de la foule, écrivait il y a longtemps, déjà, un des organisateurs du Salon d’Automne, c’est de ne jamais se tromper, de sorte que ses goûts forment un critérium infaillible : si elle traîne dans la boue un homme, c’est que cet homme est grand ; si elle vilipende une œuvre, c’est que cette œuvre est un chef-d’œuvre, et les pommes cuites qu’elle lance forment la plus glorieuse couronne qu’il soit possible de désirer. » Il suit, de là, non seulement que tout mouvement d’art nouveau doit être encouragé, mais que l’incompréhension du public est un sur garant de sa valeur. On voit que, si subjective qu’elle fût au début, nuageuse et changeante, la critique d’art moderniste aboutissait, pourtant, à quelques axiomes fort impératifs. Ils se peuvent résumer ainsi : l’art ne représente pas la nature, mais la conception de l’artiste ; cette conception doit toujours être acceptée quand elle est nouvelle : si elle heurte la vision commune, c’est signe qu’elle constitue un progrès et l’art de l’avenir.

Or voici que, depuis dix ans, aux Indépendants, puis dans les Salons d’Automne, sont apparues des œuvres qui présentent